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Nos luttes peuvent-elles rester non-violentes ?
Article mis en ligne le 14 février 2015
dernière modification le 10 février 2015

À 85 ans, le philosophe Günther Anders a renoncé à la non-violence et prôné la légitime défense face au péril nucléaire. Son livre La violence : oui ou non, une discussion nécessaire, paru d’abord en 1987, regroupe les interviews et textes chocs d’Anders ainsi que les multiples réactions que les propos de cet intellectuel respecté ont suscitées. Vingt-cinq ans plus tard, le débat reste ouvert.

Peut-on comparer les dirigeants actuels des pays détenteurs de l’arme atomique à Hitler ou Himmler ? Günther Anders lui en tout cas n’hésite pas. Ce philosophe, un des « pères spirituels » des écologistes allemands, juif qui a fui l’Allemagne en 1930, va même plus loin. Il parle des morts du nazisme comme d’une « répétition générale de ce qui nous attend ». « Les Hitler d’aujourd’hui sont incomparablement plus dangereux qu’Hitler lui-même du fait que les armes qu’il ne faudrait plus qualifier d’armes leur sont tombées entre les mains. »

Les armes dont il parle ici sont les armes nucléaires. À cause d’elles, « des millions d’hommes, toutes les vies sur terre, c’est-à-dire aussi les vies à venir, sont menacées de mort. Pas par des gens qui voudraient directement les tuer, mais par des gens qui s’accommodent de ce risque ». « Si l’on a pu tuer les 140 000 habitants d’Hiroshima avec une petite bombe, aujourd’hui on peut, en utilisant seulement un dixième des missiles qui sont prêts, tuer toute l’humanité et même plusieurs fois ». Face à cet « état d’urgence », il revendique le droit à la « légitime défense ». (...)

Quelques mois après la catastrophe de Tchernobyl, dans un entretien accordé au magazine écologiste Natur, il fait une déclaration qui va chambouler la sphère militante et intellectuelle allemande : « Bien que je sois très souvent vu comme un pacifiste, je suis aujourd’hui arrivé à la conviction que l’on ne peut plus rien atteindre avec la non-violence », qu’il décrit comme « une renonciation à l’action ».

Pour cet intellectuel, critique de la technique, une seule stratégie s’impose face aux risques que nous fait courir « l’État nucléarisé » : « Menacer en retour et […] neutraliser ces politiques qui, sans conscience morale, s’accommodent de la catastrophe, quand ils ne la préparent pas directement ».

L’ouvrage « La violence : oui ou non, une discussion nécessaire » réunit l’entretien en question et des dizaines de réactions d’intellectuels et d’inconnus qu’il a suscitées, ainsi que des textes postérieurs d’Anders sur le sujet. (...)

Les non-violents ne sont pas les seuls à en prendre pour leur grade. Il s’attaque aussi dans cette interview aux médias de masse et notamment la télévision qui distribue au peuple une « opinion à la petite cuillère », tuant ainsi tout possibilité de démocratie qui nécessite selon lui « qu’on dispose du droit d’exprimer son opinion propre ». (...)

La plupart des réactions publiées dans le livre désapprouvent les propos de l’essayiste sur l’espoir et la violence. Le Prof. Dr. Ulrich Klug lui demande « où est alors l’indispensable preuve qu’une action non-violente n’atteint plus son objectif ici et maintenant et que, pour cette raison, l’emploi de la violence est devenu nécessaire ? ». (...)

Certains doutent également que le meurtre de quelques dirigeants ou ingénieurs ralentisse d’une quelconque façon l’avancée meurtrière des tenants du progrès. (...)

On reproche également à Anders de se « compromettre avec les ânes » qui prônent la guerre pour avoir la paix. Enfin, on l’accuse d’envoyer des jeunes au casse-pipe et de faire preuve d’une radicalité facile, caché derrière l’excuse de son grand âge.

Malgré les critiques, Anders ne désarme pas. Faisant encore une fois référence au IIIe Reich, il compare « ceux qui ne résistent pas aujourd’hui avec ceux qui n’ont pas résisté hier ». Il met en avant la Résistance française comme modèle dont il faudrait s’inspirer.
(...)

Peut-être s’agit-il d’une provocation de celui qui voit l’exagération comme un outil philosophique au même titre que le microscope pour le virologue.

Peut-être veut-il simplement nous réveiller et pointer les limites de la non-violence face à un Etat qui fonde sa domination sur le recours à la violence. Mais peut-être s’agit-il réellement de la seule issue entrevue par un homme désillusionné de 85 ans, fatigué d’observer avec impuissance la marche infernale du progrès technique.

Quoi qu’il arrive, la plume d’Anders ne laisse pas indifférent (...)

Les réactions d’autres penseurs et d’inconnus rendent cet ouvrage intellectuellement stimulant. D’une page à l’autre, on navigue entre des opinions aussi contradictoires que convaincantes. (...)

Quoi qu’on pense de la violence, l’éditeur du livre a raison, il s’agit d’une « discussion nécessaire ». Le débat que Gunthers a (r)ouvert en 1987 n’est toujours pas clos aujourd’hui. Et plus que jamais, après la mort de Rémi Fraisse et la catastrophe de Fukushima, la question se pose.

Face aux violences d’État et à la menace nucléaire, nos luttes peuvent et doivent-elles rester non-violentes ? Loin d’apporter une réponse définitive, ce livre fournit néanmoins quelques précieuses pistes.