Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
ATTAC
Note de décryptage : Amazonie, quelle politique commerciale et quelles régulations des multinationales pour s’attaquer aux racines du problème ?
Article mis en ligne le 5 septembre 2019

Face à l’émotion internationale suscitée par les feux de forêts en Amazonie et à l’indifférence de Jair Bolsonaro, Emmanuel Macron a annoncé, à la veille du G7 de Biarritz, que la France ne soutenait plus l’accord de commerce controversé entre l’Union Européenne et le Mercosur. Que penser de ce revirement ? Quelle est sa portée ? Est-ce suffisant ? Que préconiser ? Cette note de décryptage présente 7 recommandations qui dessinent les contours d’une politique commerciale et d’une régulation des multinationales permettant de s’attaquer à certaines racines du problème soulevé par la déforestation et les feux en Amazonie.

Notre appréciation de l’annonce d’Emmanuel Macron

Bolsonaro ou pas, feux de forêts en Amazonie ou pas, l’accord UE-Mercosur est inacceptable. Il prolongerait le processus de libéralisation et de déréglementation des marchés et fonctionnerait en stimulant pour l’agrobusiness aujourd’hui montré du doigt ; il approfondira en outre une globalisation économique qui fait de l’intérêt des multinationales (ouverture des marchés, protection de leurs intérêts) un objectif supérieur à la protection de la planète, aux droits sociaux et droits des populations. Et c’est sans même considérer les atteintes aux libertés, aux droits et à la démocratie et le démantèlement des politiques de protection de l’environnement mené par Jair Bolsonaro (mais aussi par Mauricio Macri en Argentine et Mario Abdo Benitez au Paraguay). Cet accord n’aurait jamais dû être soutenu par Emmanuel Macron et son gouvernement.

Le rejeter purement et simplement ne devrait même pas faire débat en France et en Europe. C’est le message que 340 organisations de la société civile internationale avaient adressé aux décideurs politiques européens en juin 2019.
C’est donc bien tard qu’Emmanuel Macron a retiré son soutien à l’accord UE-Mercosur. En effet l’inaction et les exactions à l’encontre du climat et de la biodiversité de son homologue brésilien Jair Bolsonaro sont connues de tous les observateurs depuis le lendemain de son intronisation. (...)

Le “Non” d’Emmanuel Macron n’est par ailleurs pas gravé dans le marbre : la secrétaire d’État chargée des Affaires européennes, Amélie de Montchalin, a indiqué que le refus français n’était pas définitif et qu’il pourrait être levé si l’exécutif brésilien changeait de politique.
Comment expliquer cette volte-face ?

La négociation de l’accord UE-Mercosur est achevée. L’accord politique est même conclu et son contenu a obtenu l’onction des 28 États-membres de l’UE en juin dernier, y compris de la France. Emmanuel Macron se félicitait alors d’un “bon accord”, allant “dans la bonne direction”, notamment par l’introduction de clauses supposées contraindre le Brésil à respecter ses engagements climatiques et à reforester. Présenté comme un levier “écologie contre commerce”, l’Elysée prétendait même que l’accord UE-Mercosur pourrait permettre de “replanter douze millions d’hectares” de forêt en Amazonie, alors que Jair Bolsonaro n’a jamais caché qu’il allait encourager la déforestation, et affaiblir les réglementations en la matière.

Cette volte-face d’Emmanuel Macron est avant tout, à ce stade, une manoeuvre tactique habile, davantage destinée à l’opinion publique française que prometteuse de résultats tangibles. Elle temporise face aux très vives critiques et aux mobilisations du monde agricole contre les accords Mercosur et CETA, et ce sans donner l’impression que le président français a opéré un choix de politique intérieure. En “débranchant” l’accord UE-Mercosur, de manière symbolique dans un premier temps, l’exécutif espère aussi apaiser les divisions grandissantes au sein de sa majorité parlementaire à ce sujet. (...)

Le texte de l’accord UE-Mercosur, finalisé sur le plan politique et dont une première version est publiée par la Commission européenne, est actuellement soumis à un “processus de révision légale” et de traduction. Ce n’est qu’une fois ce processus achevé, sans doute au cours du premier semestre 2020, qu’il sera soumis au Conseil européen pour être approuvé par les 28 (ou 27) et que la Commission européenne obtiendra le mandat pour le signer. C’est alors seulement qu’Emmanuel Macron pourra, s’il maintient sa position, faire valoir son opposition à l’accord UE-Mercosur. Deux cas de figure sont possibles :
Si l’accord UE-Mercosur est présenté par la Commission européenne comme un accord mixte, c’est-à-dire relevant à la fois de la compétence de l’UE et de la compétence des États, alors l’opposition de la France vaudra veto.

Si la Commission parvient à le présenter comme un accord non-mixte, c’est-à-dire relevant exclusivement de la seule compétence de l’UE (ou alors si la Commission dissocie la partie “commerce” de l’accord des parties de coopération diplomatique, par exemple), alors l’opposition de la France ne suffira pas : c’est un vote à la majorité qualifiée qui se tiendra alors au Conseil et la France seule ne constitue pas une minorité de blocage.

Si la Commission semble à ce jour présenter l’accord UE-Mercosur comme un accord mixte, il reste de nombreuses incertitudes à lever et la France serait bien avisée, si elle est sérieuse dans son intention :

1) d’exiger une clarification immédiate de la Commission européenne à ce sujet, avant même que les États du Mercosur ne s’empressent de ratifier le texte et fassent ainsi pression sur les pays de l’UE ; sans attendre, l’exécutif peut également saisir la Cour de Justice de l’UE pour obtenir une clarification à ce sujet. (...)

2) de convaincre d’autres États de l’UE afin de construire une minorité de blocage au sein du Conseil pour solidifier l’engagement qui vient d’être pris ; cette minorité de blocage ne sera pas atteinte avec les seules oppositions déjà exprimées de la France, de l’Irlande, de l’Autriche, de la Slovaquie et du Luxembourg.
Portée de la décision sur l’Amazonie et les feux en cours

La portée de l’annonce d’Emmanuel Macron sur l’Amazonie et les feux de forêts en cours est nulle.
Puisque l’accord UE-Mercosur n’est pas en vigueur, retirer son soutien à cet accord n’a dans les faits aucun effet tangible sur les vecteurs et les causes politiques, économiques et sociales de la déforestation en Amazonie. Encore moins sur les feux de forêts en cours. (...)

L’accord de commerce UE-Mercosur pourrait-il embraser davantage la forêt brésilienne ?

L’accord UE-Mercosur est avant tout conçu pour ouvrir aux entreprises européennes des marchés dans le domaine industriel (pharmacie, automobile, textile, biens d’équipement industriels), des services (finances, transport notamment), et de l’agroalimentaire bénéficiant des signes de qualité de l’UE (boissons, chocolat et dérivés, fromages). Il assurera également un meilleur accès au marché pour toutes les entreprises européennes de ces secteurs par la reconnaissance, dans le Mercosur, de normes internationales et européennes de conformité, y compris dans le domaine sanitaire et phytosanitaire.
Il est à noter que le Brésil, neuvième économie mondiale, continue d’être un pays relativement fermé (droits de douane, fiscalité, exigences bureaucratiques) avec un taux d’ouverture de moins de 20% du PIB, le plus faible des pays du G20. C’est l’une des raisons pour lesquelles la Commission européenne a tout fait pour finaliser ces négociations commerciales, qui ont débuté il y a 20 ans.

Les nouveaux quotas concédés à l’importation de viande de boeuf des 4 pays de la zone (99000 tonnes à droits de douane réduits) sont à la hauteur de cette ambition européenne : l’agriculture est la monnaie d’échange. (...)

Le lien de causalité directe entre l’éventuelle future application de l’accord UE-Mercosur et la déforestation de l’Amazonie semble donc finalement assez faible, à condition d’application sérieuse du moratoire sur le soja adopté en juillet 2006 et prolongé en juin 2018, qui engage les exportateurs brésiliens à ne pas acheter de soja provenant de la région amazonienne.

Conclusion : renoncer à l’accord commercial négocié avec les 4 pays sud-américains est indispensable pour ne plus apporter la caution de la France et de l’UE au système agro-industriel sud-américain, y compris dans sa dimension illégale et violente. Mais c’est loin d’être suffisant pour résorber la dévastation en cours de la forêt amazonienne, à laquelle, de fait, l’UE contribue déjà par ses importations de soja et de viande de bœuf.
Portée de la décision sur les vecteurs de déforestation imputables à la France et l’UE

Par son annonce qui se limite à l’accord UE-Mercosur, qui plus est “en l’état”, Emmanuel Macron exclut de fait d’intervenir sur le commerce actuel de biens, notamment agricoles, entre le Brésil et l’UE comme entre le Brésil et la France. Or celui-ci se porte très bien et contribue effectivement à la déforestation et à la dégradation de zones forestières.

Emmanuel Macron fait comme s’il n’existait pas déjà un cadre et des règles - notamment celles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) - encourageant fortement l’importation en Europe de biens agricoles, dont le défrichement des forêts tropicales et des savanes arborées est une condition de la production. (...)

la culture intensive du soja dont le Brésil est aujourd’hui le premier exportateur mondial (83,8 millions de tonnes, en hausse de 23% par rapport à 2017) contribue très fortement à la déforestation. (...)

L’augmentation exponentielle de la production mondiale du soja est tirée par l’intensification et l’industrialisation de l’élevage. (...)

Outre le soja, l’UE et la France sont de gros importateurs de pâte à papier, d’éthanol - près de 30 % de l’éthanol produit au Brésil est exporté vers l’UE - et de minerais de fer. Autant de productions qui, de près ou de loin, sont liées aux défrichements et dégradations des forêts et des terres au Brésil, et plus largement en Amérique du Sud.

De nombreuses entreprises européennes et françaises, qu’elles soient issues de l’industrie agroalimentaire ou de l’industrie minière, sont donc concernées par ces productions liées à la déforestation. (...)

La France est d’ailleurs le quatrième investisseur étranger au Brésil et toutes les grandes entreprises du CAC40 sont présentes sur place (...)

Certaines de ces multinationales du CAC40 contribuent directement à produire, exporter ou commercialiser les produits mentionnés et à jouer un rôle majeur dans cette déforestation importée. Plusieurs d’entre elles ont ainsi été mises à l’index par des ONG : Auchan, Bigard, Carrefour, Casino, Cooperl, LDC, Lactalis, Sodexo et Super U et onze autres entreprises ont été en effet invitées à demander à leurs fournisseurs de cesser immédiatement de s’approvisionner, directement ou indirectement, auprès des producteurs de soja responsables de la déforestation. Depuis le vote en 2017 de la loi relative au devoir de vigilance, les entreprises sont en effet dans l’obligation “d’identifier les risques et de prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement”.

Un récent rapport montre comment des entreprises européennes et nord-américaines participent indirectement à la destruction de la forêt amazonienne en se fournissant en viande, soja, bois exotique, cuir, sucre ou encore açaï (baie énergisante) auprès d’entreprises brésiliennes condamnées pour crime environnemental. Les entreprises françaises Guillemette & Cie, spécialisée dans l’importation de bois, et le Groupe Rougier, font partie des entreprises ciblées par ce rapport. (...)

Par son annonce se limitant à l’accord UE-Mercosur, Emmanuel Macron a donc exclu, de fait, toute possibilité d’intervenir directement sur le commerce, les entreprises et les investissements bilatéraux France-Brésil alors qu’une partie d’entre eux sont indissociablement liés aux vecteurs de déforestation de l’Amazonie.

En l’état le président Macron s’en tient à menacer le Brésil d’une sanction commerciale unilatérale, sans garantie qu’elle soit mise en œuvre et sans efficacité réelle sur les causes de la déforestation et des feux de forêts.
Que devrait faire le gouvernement français pour agir sur les causes de la déforestation ? (...)

La France et plusieurs entreprises françaises ont également été épinglées pour l’importation de bois tropical illégal - des Ipé, espèce d’arbres de grande valeur utilisée pour faire des charpentes ou de la menuiserie - provenant de la forêt d’Amazonie. Enfin, les banques et investisseurs français ne sont pas en reste : la banque française BNP-Paribas est ainsi très investie dans les quatre géants des matières premières que sont ADM, Bunge, Cargill et Louis Dreyfus qui approvisionnent notamment l’Europe en soja brésilien. (...)

Engager la “re-régulation” du commerce international, dans l’optique d’interdire à terme toute importation en France de produits agricoles et forestiers (soja, éthanol, huile de palme, etc) dont la production est directement liée à la déforestation en Amazonie ou ailleurs. (...)

Engager la “re-régulation” des investissements internationaux : cesser de soutenir - diplomatiquement et financièrement, via les garanties publiques à l’export - les investissements étrangers des entreprises françaises et européennes dans les secteurs qui contribuent, directement ou indirectement, à aggraver la déforestation dans les bassins forestiers qu’il faut protéger. Exiger une révision fondamentale de la logique commerciale de l’UE : la France pourrait proposer d’introduire un mécanisme d’évaluation systématique de l’impact “climat” et “biodiversité” de chacun des accords de commerce en cours de négociation ou déjà finalisé (...)

Sortir l’agriculture de l’OMC : relevant du bien commun et de l’intérêt général, la production et le commerce agricoles doivent pouvoir être re-régulés, y compris au niveau international (...)

Remarques sur les systèmes de certification internationaux et les règles de l’OMC (...)

En attendant que la négociation de tels dispositifs soit possible, la France pourrait prononcer un moratoire sur l’ensemble des importations de produits agricoles associés à la déforestation. (...)

Il dispose également de moyens d’action non-commerciaux, par exemple :

Sanctuariser la forêt amazonienne située sur le territoire de la Guyane française et débloquer les moyens humains et financiers pour s’en assurer (...)

Faire appliquer la loi sur le devoir de vigilance et encourager la Commission européenne à rédiger une directive de même nature (...)

Réduire la dépendance de l’agriculture française et européenne au soja et autres produits agricoles et forestiers importés qui causent la déforestation en définissant des objectifs précis