
Comment repenser le rapport à la terre, à la propriété et jeter les bases d’un imaginaire collectif fondé sur l’intérêt général et la solidarité en s’affranchissant des diktats de l’Etat ? C’est la base de la culture des communs, dont la Zone à défendre de Notre-Dame-des-Landes est un laboratoire in vivo.
« Construire des communaux peut être un premier pas dans la perspective de faire commune. Par communaux nous désignons à la fois un territoire partagé, les terres communales, et les infrastructures de l’autonomie qui s’y élaborent : les communs », peut-on lire dans « De la Zad aux communaux », un texte collectif paru sur le site de la ZAD en juin 2014.
Ce qui se joue aujourd’hui à NDDL ? Pour François de Beaulieu, naturaliste et historien, cela fait écho à l’histoire passée et à d’autres moments de lutte contre une certaine forme d’aménagement du territoire : « Pendant des siècles, les landes ont fait l’objet d’usages collectifs par la communauté villageoise : cueillette, chasse, pêche. La fin des communs remonte au début du 19è siècle, sous le joug des défenseurs de la modernisation de l’agriculture. Une loi datant de 1850 a en effet imposé le partage des communs, et c’est ainsi que des propriétaires terriens ont pu commencer à racheter ces parcelles. »
Et de rappeler que « des conflits ont éclaté chaque fois que des individus ont voulu, d’une manière ou d’une autre, déroger aux usages qui assuraient l’équilibre général et, en particulier, basculer dans l’appropriation privative. Alors que l’histoire montre que l’usage collectif des landes, pendant des centaines d’années, a permis de maintenir un système résilient et durable. »
Ce système « résilient et durable », c’est un peu le Graal que les occupant-e-s de la ZAD tentent d’inventer, jour après jour.
La Déclaration d’Utilité Publique de 2008 délimite l’emprise du territoire : sur ces 1650 hectares, 400 sont des friches, chemins, routes. 450 sont constitués des terres cultivées de onze agriculteurs en lutte, qui ont refusé tout compromis et sont aujourd’hui expropriés par AGO. Et les 800 hectares restants sont redistribués chaque année par la Chambre d’agriculture (sous forme de baux annuels) incluant les terres d’agriculteurs ayant cessé leur activité et celles des exploitants ayant signé un accord avec AGO.
Sur ces 800 hectares en redistribution, 220 ont été occupés et ainsi arrachés à AGO par le mouvement d’occupation, notamment depuis la création de l’assemblée « Sème ta Zad ». (...)
« Sème ta Zad » envisage l’avenir des terres sur la zone, autour de projets visant à l’autonomie, d’abord alimentaire : jardins et chantiers collectifs, défrichages, plantations, productions diverses, cartographie des lieux, échanges de savoirs et de semences, mutualisation de moyens matériels. (...)
En avril 2013, l’assemblée avait appelé à une manifestation sous forme de mise en culture de champs laissés en friche par AGO-Vinci. L’objectif était d’ensemencer 24 hectares. Le préfet a bien tenté de réagir : il avait publié, la veille, un arrêté interdisant les semis sur la zone. Cela a bien fait rire les contrevenants, armés de sacs de graines et de binettes. « Cet arrêté absurde démontrait le côté transgressif de l’action de cette prise de terre », se souvient Camille. (...)
Nouvelles formes d’organisation
Mais les communs à NDDL ne se réduisent pas à la terre ni à la question du foncier. Avant Sème ta Zad, le mouvement s’était déjà doté d’infrastructures collectives comme, entre autres choses, une boulangerie, un journal (le Zad News), un site web, une radio (« Klaxon », piratant la fréquence de Vinci autoroute) ainsi qu’un marché à prix libre (le « non marché »). Aujourd’hui, ce processus de mise en commun perdure, allant de la création d’une meunerie à l’expérimentation de nouvelles formes de réunions, en passant par la création d’une fromagerie, la mise en place d’une caisse dédiée à l’anti-répression ou la rénovation d’un lieu d’accueil via des chantiers collectifs. « Ça permet de poser la question de la propriété privée au sens large, avec un imaginaire qui correspond à ce qui s’est vécu ici », note encore Camille.
Pas question de se calquer sur un quelconque modèle existant « comme le Larzac ». Il s’agit de l’inventer avec les ingrédients et les acteurs du combat d’ici. (...)
« En dehors d’un schéma légaliste, on a l’ambition de faire émerger de nouvelles formes d’organisation qui partent de nos pratiques, afin que chacun s’y retrouve malgré nos différences », note encore Camille. C’est aussi une façon de se réapproprier la politique, ou « comment on arrête de déléguer ces questions à des aménageurs sans que les gens concernés par le territoire aient une latitude de décision. »
Même constat pour Jean-Joseph, un occupant du lieu-dit le Haut-Fay : « La ZAD est un laboratoire sur tout, y compris sur les questions de propriété d’usage, sur les communs, les communaux. On tâtonne, on essaie de trouver nos propres moyens de s’organiser, et pas seulement entre anarcho-autonomes, sourit-il, mais entre personnes différentes, autour de socles communs. » Pour lui, « se battre contre la propriété privée et contre la domination vont de pair ».
Squatteur, ou « occupant sans droit ni titre », comme le sont d’autres zadistes et agriculteurs sur la zone, il estime : « Ma légitimité ici, c’est que je vis dans un lieu collectif qui a été ouvert avec l’ensemble du mouvement. Ici, ce qui compte, c’est avant tout la propriété d’usage et son organisation collective. Et c’est parce qu’on en fait »bon usage« que ça fonctionne. » (...)
« Communer », peut-on lire encore dans la brochure « De la zad aux communaux », « signifie aussi être en mesure, quand toutes les autres formes de médiation sont épuisées, de se constituer en force pour faire primer le bien commun sur l’intérêt privé. » (...)
Et c’est bien ce qui inquiète l’Etat. Dans le rapport de la commission d’enquête sur le maintien de l’ordre républicain, établi suite à la mort de Rémi Fraisse à Sivens et sorti en mai, on apprend qu’« au plan juridique, l’installation d’une ZAD constitue en elle-même un délit au sens où elle porte atteinte au droit de propriété et à certaines libertés garanties. Toutefois, elle ne trouble pas par elle-même l’ordre public, son statut de ’lieu public’ demeurant incertain. »
Pour François de Beaulieu, « il y a dans l’histoire des landes de Bretagne et dans celle qui s’écrit aujourd’hui sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, la matière pour mieux appréhender le fonctionnement d’autres modèles sociaux que ceux qui font la part belle à un État tout-puissant ou à un marché totalement libéré. »