
Une femme s’est noyée en secourant des enfants. Grande intellectuelle et être courageux. Ses livres continuent de la représenter. Lui écrit aussi. À l’évocation d’enfants migrants noyés en méditerranée, il répond « Je n’en ai cure ». Une femme et sa voix sont partis. Un homme et ses éructations sont restés. Laquelle de ces deux voix aura enchanté le monde ?
Une femme s’est noyée en secourant des enfants. C’était une grande intellectuelle et un être courageux. Elle apportait beaucoup au monde. Par ses mots et sa présence. « Certains êtres ont la grâce d’avoir l’air de débarquer sur terre pour l’enchanter. ». Une citation d’un de ses textes qui me semble raccord avec ce qu’elle donnait à voir et à entendre. Ses livres continuent de la représenter. Lui écrit aussi. Il parle beaucoup. On l’entend tout le temps. Un personnage surmédiatisé. Même quand on a pas la télé, ses mots ricochent sur les réseaux sociaux. Un spécialiste de la phrase choc qui partira en orbite virtuel. Plus ce sera ignoble, plus elle tournera longtemps.Ce type, qu’on l’apprécie ou pas, n’est pas un abruti. Il sait manier la langue et a de la culture. Même si toute son intelligence est tournée vers la haine qui alimente son compte bancaire et fait reluire son nombril. À l’évocation des enfants migrants noyés en mer méditerranée, il répond en direct à la télé « Je n’en ai cure ». Quel con, me suis-je dit comme nombre d’internautes en passant très vite à un autre tweet. J’essaye au maximum d’éviter les mots et insultes de cet homme. Le temps est compté, autant l’alimenter de choses qui comptent. Mais cette fois j’avais du mal à me dé-poisser. (...)
Ce genre de propos qui vous assombrissent la journée et peuvent vous injecter une nouvelle petite dose de pessimisme sur l’époque et vos contemporains. Grâce à la mémoire et une étrange association d’idées, son crachat a été effacé par le retour d’une image. Sans aucun doute éternellement douloureuse pour la famille et les proches. C’est le geste héroïque d’une femme se jetant à l’eau pour des enfants. Ils ont été sauvés de la noyade. Une femme et sa voix sont partis en 2017. Alors qu’un homme et ses éructations sont restés et font du bruit sur la rive. Un bruit ignoble. Laquelle de ces deux voix aura enchanté le monde ?
La beauté, l’intelligence, la générosité, se sont noyées un jour d’été en méditerranée. Cette femme a un nom : Anne Dufourmantelle. Elle était psychanalyste et philosophe. Une femme parfaite ? Trop intelligente pour ne pas posséder l’élégance de l’imperfection. Mais laissons l’intime à la sphère privée. Revenons à nous ses lecteurs ou auditeurs de ses conférences ; elle apportait énormément de grain de réflexions et de doute à moudre. Une brillante intellectuelle mais aussi une femme d’action : elle a sauvé des enfants de la noyade. Tandis qu’un homme – qualifié d’intellectuel par d’aucuns- n’en a cure. Deux visions du monde. Cette femme, même morte, continue de tenir l’humanité la tête hors de l’eau. Son exemple perdure, à travers sa pensée, et son geste qui lui a malheureusement fait perdre la vie. Une bataille, menée par elle et d’autres, pour que tout ne soit pas submergé. Tandis que lui s’évertue à noyer le plus possible. On doit admettre qu’il a un réel talent pour la noyade de l’autre- surtout celui différent de lui et ses amis. Quoi qu’il désigne souvent à la vindicte populaire des visages lui ressemblant. Un noyeur professionnel avec carte de presse. Jour après jour. Il noie la beauté, la poésie, les grandes valeurs universelles… Une noyade au quotidien sur nos écrans et à la radio. Avec avis de tempête brune à chaque élection. (...)
Toujours bien dirigés face caméra. Des cracheurs de vide qui peuvent parler sans discontinuer. Très souples, ils font le grand écart entre toutes sortes de convictions en tournant en même temps leur veste. De vrais pros du parler pour ne rien dire et empêcher l’autre de penser et s’exprimer. Des bateleurs du néant avec ronds de serviette à leur nom sur les plateaux publics et privés. Leurs kms de mots débités avec assurance ont moins de sens que la moindre phrase de Anne Dufourmantelle. Et celles d’autres hommes et femmes de la même valeur intellectuelle et citoyenne. Pourtant on ne va entendre que les prêcheurs de haine ou les dealers de vide. Les squatteurs de studios télés et radios. Peu nombreux mais très efficace pour occuper le terrain de la parole publique.
Quelques voix intéressantes, singulières et pourvoyeuses de questions, réussissent à se faufiler entre les marchands de haine et de vide. Mais c’est fort difficile pour eux de s’exprimer. L’intelligence, celle capable de douter et écouter des arguments opposés, est souvent battue par les grandes gueules des médias. Celles qui élèvent le ton et sont persuadées de détenir les clefs du réel. Les autres voix, dès qu’elles tentent de sortir des raccourcis assénés avec des hurlements et force likes ou pouces levés, sont catalogués comme de doux rêveurs complètement hors sol. Parfois même ridiculisés en direct dans des émissions où la répartie est une arme de guerre plus efficace que la réflexion. De nombreuses voix différentes sont ainsi de plus en plus étouffées. (...)
Un filet de voix noyée entre deux pubs.
Toutefois ces femmes et hommes élevant plus le débat que la voix répondent présents dans notre siècle. Ils sont beaucoup plus nombreux qu’on tente de nous le faire croire. Que des intellectuels ? Uniquement des individus bardés de diplômes et ayant accès à une chaire et un micro ? Non. Qui sont les autres éleveurs de débat ? Juste des gens dont la parole fait avancer. Sous notre toit, au bord d’un comptoir, dans le même bureau… Parfois on ne les écoute pas du tout ou d’une oreille lointaine car ils sont trop proches. (...)
En tout cas, nombreux celles et ceux qui ont des choses à dire. Et pas uniquement pour se faire mousser l’égo ou vendre un produit. Des paroles avec du sens.
Pendant qu’un individu déverse sa haine quotidienne, des anonymes sauvent leurs semblables. Que ce soient dans les eaux de la méditerranée ou au coin de la rue. Toutes proportions gardés, des sortes de justes d’aujourd’hui. Des hommes et des femmes courageux sauvant d’autres au péril de leur vie. Ce courage qui fait la différence. (...)
Mais à chacun d’entre nous de tendre encore plus l’oreille. Fouiller dans le bruit permanent autour de soi. S’éloigner des vendeurs de vide ou de haine qui occupent une grande partie de l’espace réel et de celui que nous leur octroyons en plus avec notre attention. Quelles voix différentes écouter ? Celle d’Anne Dufourmantelle. La lire ou la relire. Écouter ou ré-écouter ses conférences ou interventions filmées. Avec notamment un livre d’entretien avec Jacques Derrida sur l’hospitalité. Il y a de nombreux autres penseurs, artistes, connus ou inconnus, son voisin, sa voisine, la factrice, etc, qui ont une parole à partager. Pas du vide ou de la haine enveloppée dans des phrases. Une parole qui nous grandit un peu plus à l’intérieur. Des voix nous éclairant sur une forme d’imposture en cours. Parfois à travers des cavales artistiques. Le silence après certains mots nous offre comme un supplément d’air. Ce n’est pas à négliger en ces temps de pollutions atmosphériques et mentales. Pourquoi une urgence oxygène pour notre cerveau et la planète ?
Pour sauver le maximum de la noyade générale.