
Des journées de travail de neuf heures sans pause où l’on mange en cachette, des heures supplémentaires jamais payées, des cas de harcèlement sexuel... Cinq travailleurs détachés du secteur agricole ont décidé de briser le silence et d’attaquer leurs employeurs espagnols et français bénéficiant de ses contrats.
C’est « la rage », dit-elle, qui la fait tenir debout, malgré une sclérose en plaques qui la fait cruellement souffrir. Yasmina Tellal, 38 ans, a été employée de 2012 à 2017 par Laboral Terra, une entreprise de travail temporaire espagnole qui propose de la main d’œuvre aux exploitants et entreprises agricoles françaises. Ces dernières n’ont qu’à signer un contrat avec cette société d’intérim, qui se charge de fournir les salariés et de gérer leurs démarches administratives.
Avec quatre autres salariés, Yasmina a porté plainte aux prud’hommes contre Laboral Terra et huit entreprises agricoles françaises [1] pour non-respect des contrats de travail, non-paiement des heures supplémentaires et des congés payés, manque à l’obligation de sécurité et préjudice moral. Si des travailleurs détachés du secteur agricole ont bien tenté ces dernières années de porter l’affaire en justice, les procès sont rares. Le jugement est attendu ce 22 septembre (...)
« Il faisait 60°C. On travaillait de 6 h du matin à 1 h de l’après midi. On n’avait pas de pause, pas de café, pas le droit de manger, pas de toilettes. » Dans une autre entreprise d’emballage de pommes, elle travaille 15 heures par jour, avec une heure de pause seulement. Il y a là « un comportement de mépris et un abus de la force de travail », estime son avocat.
« Il y a des manifs pour les droits des animaux, il n’y en a pas pour nous »
Pour chacun de ses contrats, Yasmina ne sait jamais combien elle va percevoir. L’indemnité de fin de mission n’est précisée nulle part. Des retenues sur salaires, « injustifiées » selon son avocat, sont opérées [2]. Les irrégularités sont monnaie courante. « Il m’est arrivé de signer un contrat de six mois mais au bout d’un mois, Laboral Terra m’appelait pour me signifier de ne pas venir le lendemain, sans aucune explication », souligne Yasmina.
Ce traitement indigne vaut pour les autres travailleurs détachés.
Des brutalités et du mépris, jusqu’à la mort
Les entreprises françaises, « ne considèrent pas les travailleurs détachés comme des ouvriers de "chez eux", pense Yann Prévost. Ils peuvent être beaucoup plus brutaux, plus indifférents à leur sort et à leurs souffrances au travail. » Malgré différents maux qui se révéleront être les symptômes d’une sclérose en plaques, Yasmina n’a jamais bénéficié de visite médicale. Un jour, alors qu’elle se décide à parler de ses droits sur son lieu de travail, elle se fait frapper le lendemain par une autre salariée. « Des violences ont été commises par d’autres ouvriers ou des représentants de Laboral Terra auprès de Yasmina sans que l’employeur n’intervienne, alors que les faits se déroulaient sur le lieu de l’entreprise », dénonce son avocat.
L’affaire Elio Maldonado atteste de cette indifférence. Le 7 juillet 2011 à Eyragues, dans les Bouches-du-Rhône, ce travailleur équatorien de 33 ans, en contrat avec la société d’intérim espagnole Terra Fecundis, meurt sur une exploitation de melons, au terme d’une journée de labeur où l’eau a manqué. (...)
« Un système de "dumping" social »
L’affaire en cours devant les prud’hommes est, pour l’avocat, « l’illustration de tout un système de "dumping" social ». Le recours à Laboral Terra et aux travailleurs détachés représente une aubaine économique pour les entreprises agricoles françaises. Les cotisations sociales, qui sont payées en Espagne par l’entreprise de travail temporaire, sont deux fois moins élevées qu’en France. (...)