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Mediapart
Orphelins à cause du Covid, des frères et sœurs réclament justice et soutien
Article mis en ligne le 2 septembre 2020

Les enfants de Calixte Songa Mbappé ont perdu leur mère, contaminée par le Covid-19, alors qu’elle travaillait en Ehpad. Ils souhaitent que l’on reconnaisse leur statut d’orphelins, et une forme de dette morale des autorités à leur égard. Pour les enfants de soignants, l’idée d’un statut de « pupilles » fait son chemin. (...)

C’est pour elle que c’est le plus dur. Amélia, 14 ans, la petite dernière d’une fratrie de cinq enfants, est allongée sur son lit toute la journée depuis le décès, sans desserrer les lèvres, avec pour seul compagnon le téléphone portable. « Je pars la nuit pour travailler et la laisse seule dans l’appartement, soupire Aurelle Kedy, sa sœur aînée. Cela m’inquiète énormément de la voir comme ça, sans paroles. »

Calixte Songa Mbappé, la mère d’Amélia et d’Aurelle, est morte le 1er mai 2020 à 54 ans, après avoir été contaminée par le Covid-19. Employée dans un Ehpad à Cachan (Val-de-Marne), géré par la mairie de Paris (...)

Née au Cameroun, arrivée en France en 2004, Calixte Songa Mbappé avait deux grandes choses dans sa vie. Sa famille et son travail. Ainsi que quelques obsessions : le jardinage et les fleurs, mais sans jardin à soi, la cuisine, dont elle régalait son monde. « Une vraie maman poule », selon ceux qui l’ont connue. Le sort des sans-abri, des vulnérables, la touche énormément, jusqu’à la sensiblerie, racontent ses enfants. « Parfois, elle pleurait à la maison quand les personnes âgées dont elle s’occupait venaient à mourir, je trouvais ça exagéré mais ne disais rien », raconte Aurelle.

Calixte Songa Mbappé enchaînait les contrats courts ces derniers mois dans l’Ehpad Cousin-de-Méricourt, à Cachan. Officiellement comme agente de service hospitalier, chargée du ménage des surfaces, mais de plus en plus souvent faisant fonction d’aide-soignante, ce qui voulait dire s’occuper des toilettes, aller et venir dans les chambres des résidents. Sans protection quelconque, malgré une santé fragile. Les masques, dans cet établissement de banlieue parisienne, arriveront en même temps que le confinement généralisé. La maladie est déjà depuis des jours dans les murs.

« Bien avant d’être malade, ma mère le disait, elle était inquiète. Nous, on rigolait, “Corona, corona, toujours le corona !”, sans savoir que ça allait nous arriver, confie Aristide Dissake, son fils aîné, depuis Bordeaux. Je pense que comme elle avait des enfants encore à charge, des factures à payer, et pas de contrat fixe, elle se sentait obligée d’aller bosser. C’est ce qui me rend encore plus fou aujourd’hui, le fait qu’elle aurait dû s’arrêter, si elle n’avait pas eu peur de perdre son emploi. » (...)

Finalement, leur mère décède d’un accident cardiaque. « Accompagnée d’une infirmière et d’une aide-soignante », souffle Aurelle Kedy. La famille a demandé à avoir accès au dossier médical, pour le moment en vain.

La colère est venue très vite s’ajouter à la peine. Ce décès aurait-il pu être évité ? « Ma mère travaillait sans masque, la cadre infirmière estimant qu’ils n’étaient pas nécessaires », assure Aurelle Kedy. Par ailleurs, dans un compte-rendu médical transmis à la Sécurité sociale dans le but de faire reconnaître son décès en maladie professionnelle, il est également relevé « l’histoire de la maladie », « toux et fièvre […] dans un contexte de travail en Ehpad, sans protection ».

Une de ses collègues confirme : « Janvier, février, mars, nous étions désespérées. Nous réclamions des masques, mais les cadres infirmiers comme le médecin nous répondaient qu’il n’y avait pas lieu d’avoir peur. » La plupart des salariés en CDI, inquiets, se sont d’ailleurs arrêtés. Sont restés au front les contractuelles et les intérimaires, comme Calixte. « Dans l’aile de l’Ehpad où elle a travaillé, cela a été l’hécatombe, de nombreux résidents sont décédés, et nous avons presque tous été contaminés », poursuit cette collègue.

Le 28 juillet 2020, la famille a déposé plainte contre l’employeur, la mairie de Paris, pour « mise en danger de la vie d’autrui ayant entraîné la mort, et manquement à des obligations légales ». Interrogée, la Ville de Paris n’a pas répondu à nos questions sur ce point. (...)

Pour les enfants de Calixte Songa Mbappé grandit en parallèle l’inquiétude financière. Pendant l’hospitalisation à Caen, la famille a déjà dû demander, dans l’urgence, une aide alimentaire. Les 300 euros sont arrivés deux semaines plus tard. « Comme une aumône », se plaint Aurelle. Son grand frère, chargé des démarches, tempère : la mairie de Paris les soutient, elle a également accepté de payer les mois de loyer consécutifs au décès de son ancienne employée. (...)

Mais la mort elle aussi coûte cher. (...)

La famille a donc décidé de demander de l’aide aux autorités, pour les deux derniers enfants. « Cela me semble important, notre vie a été bouleversée, on a été totalement pris de court, reconnaît Leonel. Outre l’aspect financier, c’est important psychologiquement, pour moi, pour les autres familles de victimes, d’être reconnu. »

Ils ne sont pas les seuls. Plusieurs voix se sont élevées, réclamant un statut équivalent à celui de pupilles de la Nation pour les enfants de soignants décédés du Covid-19. Une résolution dans ce sens, déposée par le groupe LREM, a même été adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale le 26 mai 2020. (...)

Pour l’instant, aucun recensement officiel n’a été mené à terme (les médecins parlent d’une quarantaine de décès pour leur profession) sur le nombre exact de soignants contaminés, et combien auraient succombé. Mediapart a tenté, ici, d’en rendre compte. (...)

Il faut dire qu’Emmanuel Macron, qui a eu l’occasion à plusieurs reprises de s’exprimer devant les Français au cours de la crise sanitaire, s’est finalement montré très peu disert quand il s’est agi de parler des morts du Covid. Une phrase seulement, dans son discours post-confinement le 14 juin, en fait mention officiellement. (...)

« Pourquoi ne nous ont-ils pas écoutés, quand nous réclamions des masques ?, demande la collègue de Calixte, qui frissonne encore en évoquant son prénom. Pour moi, c’est de la mort par négligence. » Aurelle Kedy n’en démord pas non plus. « On entend souvent dire que de nombreux décès ont été évités. Mais parle-t-on assez de ceux qui sont partis ? 31 000 morts, quand même, et autant de familles, ce n’est pas rien ! » (...)