
Edith Heurgon et Alain Raymond nous offrent un très beau livre et un très beau projet. Ils nous invitent à partager une longue enquête et une réflexion approfondie, le récit d’une aventure. C’est le résultat d’une rencontre improbable, l’une amenant l’optimisme méthodologique de la prospective du présent, l’autre son engagement et ses ouvertures sur le volontariat international. Un beau récit à deux voix qui se répondent et se complètent.
Elle/il sont partis d’une interrogation sur le volontariat international, sur son intérêt et ses limites. Il s’agit de comprendre la volonté d’engagement des jeunes par rapport à l’état du monde et de saluer leur enthousiasme. Il s’agit aussi de prendre en compte la récupération de cet enthousiasme. Pour cela, il ne faut pas rester à une distanciation réductrice. Il faut prendre en compte la diversité des situations et des engagements. Se placer aussi dans le temps long et la complexité. C’est ce que permettront la sympathie pour l’immersion, la compréhension des découvertes, le suivi des trajectoires et des complexités, comme le montre notamment une mise en dialogue des mobilités et du volontariat dans l’espace caribéen au regard du changement climatique.
L’interrogation sur le volontariat international est partie d’un acteur en partie institutionnel, France Volontaires. Cet acteur a beaucoup évolué et il est conscient d’être dans une situation dans laquelle il va devoir encore évoluer. (...)
Il est confronté à la nécessité de tout remettre à plat : remettre en cause la notion d’aide, redéfinir la coopération, repenser le développement, inventer la solidarité internationale. Il s’est engagé dans cette aventure en acceptant de prendre le temps et les risques de cette expérience.
La démarche retenue est celle de la prospective du présent. Elle a apporté les fondements des explicitations et des interrogations. Le livre rend compte aussi de l’intérêt et de la richesse de cette démarche. C’est une initiation à une démarche prospective ouverte et à la construction collective de réponses à des questions et des défis. (...)
Une première série de questions part de l’interrogation ET SI ? Il s’agit de transformer les contraintes en opportunités en ouvrant le champ des possibles et en définissant des devenirs souhaitables. Par exemple, la question : ET SI on pouvait inventer des rapports internationaux équitables ? La deuxième série de questions part de l’interrogation JUSQU’OU NE PAS ? Il s’agit de se poser la question des effets de seuil, du bien-fondé des actions au lieu de continuer à faire la même chose. Par exemple la question JUSQU’OU NE PAS institutionnaliser le volontariat ?
Pour renouveler le volontariat, la démarche part de deux interrogations clés : la situation des jeunes d’une part, l’évolution de la mobilité d’autre part. Les jeunes mettent en lien leurs engagements citoyens et leurs compétences professionnelles. Tous ceux qui se sont engagés dans un volontariat international en ont beaucoup retiré, ils ont vécu une expérience exceptionnelle et une ouverture avec la découverte de la richesse portée par la diversité des cultures. Les jeunes sont partagés entre l’envie de partir et l’accès à un emploi stable, ils vivent le dilemme entre la mobilité souhaitée et l’enracinement qui peut faciliter la recherche d’un emploi.
Les auteurs accordent une grande importance au renouvellement méthodologique de l’engagement solidaire. Ils soulignent le rôle clé du volontaire et la diversité des pratiques du parcours citoyen et professionnel. Ils rappellent aussi l’évolution du contexte avec le passage de la notion d’aide à la proposition de coproduction de l’utilité sociale. Ils proposent une approche originale, la liaison entre l’expérience individuelle et l’apprentissage collectif pour devenir jardiniers du bien commun. (...)
Le volontariat rencontre la question de la mobilité. Le pari est de passer de la mobilité du volontariat à l’international à la mobilité solidaire. La mobilité sociale, professionnelle et culturelle facilite les pratiques innovantes par rapport aux formes instituées permanentes. Elle relie naturellement les dimensions du local et du global. (...)
La mobilité solidaire produit de l’utilité sociale en articulant les dimensions individuelles et collectives. Elle s’oppose à la mobilité non solidaire dont on voit les limites et les contradictions avec le tourisme de masse. (...)
La prospective du présent interroge la question des mobilités choisies et des migrations contraintes. ET SI l’un des enjeux du volontariat était de faciliter les mobilités intermittentes, occasionnelles, permanentes, de rendre les circulations plus fluides pour permettre aux personnes de choisir où vivre ensemble et comment habiter un monde durable et solidaire ?
Le renouvellement conceptuel est dans la définition du Volontariat Monde. La formulation est déjà nouvelle, elle doit probablement à la culture caribéenne et renvoi au Tout-Monde d’Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau qui ont mis en avant la mondialité comme une réponse à la mondialisation et les identités multiples comme une réponse à l’assignation à une identité nationale exclusive. Le projet est de lier le Volontariat Monde à la mobilité solidaire. Les quatre principes d’action qui concrétisent le volontariat monde sont : la solidarité, la citoyenneté, la mobilité, l’hospitalité. (...)
Il s’agit de créer des capacités collectives, des espaces de coopération, des espaces de réconciliation et de nouvelles alliances, un projet d’habitabilité soutenable, des espaces de circulation pour dépasser les territoires séparés par des frontières, un universel de la rencontre dans le pluriel des langues.
Le Volontariat Monde doit répondre aux questions fondamentales de la période du point de vue des jeunesses et de la mobilité. (...)
Elle est définie à partir des contradictions qui portent sur l’explosion des inégalités, les migrations, l’urgence climatique, les libertés et la démocratie, le système international. (...)
Le livre fourmille de propositions, ouvre des pistes et associe de nombreuses personnes et associations qui viennent ancrer, élargir et démultiplier la démarche. (...)
ET SI on assurait l’ouverture dans un parcours à la fois citoyen et professionnel de la mobilité solidaire à tous les jeunes ?
Ouvrir la mobilité solidaire à tous les jeunes. Non pas former une élite, mais engager toute une génération, élargir à tous les jeunes. Organiser de vastes espaces de circulation à l’échelle des grandes régions du monde. Développer pour tous des potentiels individuels et collectifs à partir des expériences partagées.
La prospective du présent qui allie esprit critique et optimisme méthodologique pour nourrir l’action collective a permis de renouveler la vision de l’engagement solidaire, d’envisager la transformation radicale de la géographie du volontariat, d’imaginer la diversification des pratiques en dehors des normes instituées.
Ouvrir le Volontariat Monde et la mobilité solidaire à tous les jeunes du monde. Comment transformer cette utopie en réalité concrète. Comment passer du temps de la prospective au temps de la stratégie et au temps du projet. Ce livre, longuement mûri et réfléchi, est un premier pas pour une belle ambition d’avenir.