
Voici venue l’ère des métropoles. Obéissant à la déraison économique et à la compétition libérale mondialisée, l’état a décidé une fois de plus de réorganiser son territoire en concentrant l’essentiel de ses moyens sur les grandes agglomérations urbaines. Quatorze « métropoles », nouveau statut administratif, sont créées à partir de 2015. Outre Paris, Lyon et Marseille, disposant d’un statut spécial, sont concernées les agglomérations de Toulouse, Lille, Bordeaux, Nantes, Strasbourg, Rennes, Rouen, Montpellier, Brest, Nice. Et donc Grenoble.
Voici cinquante ans que l’on vante la « métropole » grenobloise. Déjà lors des Jeux Olympiques de 1968, Paris Match s’enflamme : « La France découvre qu’elle a une métropole de l’an 2000. Grenoble, c’est Brasilia ». Depuis, beaucoup de béton a coulé dans la cuvette, et les caciques locaux ressassent leur ambition de diriger « une métropole à échelle européenne ». Un objectif qui recueille un consensus politique quasi-général. Mais pour que les simples habitants retrouvent un peu de pouvoir, la seule solution est la dissolution de la métropole.
Êtes-vous déjà tombé sur une manifestation « pour une métropole » ? Avez-vous déjà vu des habitants se regrouper, pétitionner, militer sous une bannière : « Une commune c’est minable, une métropole c’est formidable » ?
Nous non plus. La création des métropoles résulte de la volonté de l’État et des puissants. Les notables locaux tentent avec leurs gros sabots de tromper les naïfs en promettant monts et merveilles. (...)
nul besoin d’un master d’esprit critique pour saisir que l’expansion métropolitaine n’a rien à voir avec le bonheur des habitants. Elle arrange d’abord ceux qui ont intrigué pour ces méga-structures, à savoir les gouvernants. Si, comme le dit une maxime populaire, « La place des élus doit être bonne vu comment ils se battent pour y accéder », la place dans les fauteuils métropolitains devrait être encore meilleure vu l’énergie que certains déploient.
Le promoteur de ce montage technocratique est l’État, et il en est le grand gagnant : les énormes intercommunalités que sont les métropoles lui permettront une meilleure gestion de la population. La « métropolisation » est un élément de la fameuse décentralisation, dont l’enjeu n’est pas d’affaiblir le rôle central de l’état tentaculaire mais au contraire de faire croître ses tentacules partout sur le territoire. (...)
La France devrait donc compter quatorze métropoles en 2015. Ces chambardements territoriaux imposés par l’Etat font râler certains élus et habitants, notamment à Paris et Marseille [3]. Dans la cuvette non plus, la perspective métropolitaine ne soulève pas l’enthousiasme, même parmi les représentants du peuple (...)
La métropole exacerbera ce penchant naturel de l’intercommunalité à vouloir présenter la politique entreprise comme la seule possible, selon le mot fameux « il n’y a pas d’alternative ». D’ailleurs, bien souvent, les élus ne sont pas très actifs et délèguent l’essentiel de leurs pouvoirs à des techniciens omniprésents.
Ce rouleau compresseur consensuel favorise le désintérêt pour la vie locale et la résignation (...)
L’expression de voix dissidentes est découragée, car dans la guerre économique comme dans toutes les autres guerres, on n’accepte ni les déserteurs, ni les pacifistes. Toutes les métropoles se ressemblent, on habite Grenoble comme on habiterait Lille ou Amsterdam. Comme un spectateur déraciné sans aucun sentiment d’appartenance et sans aucune volonté d’agir. En ayant même oublié qu’il pourrait en être autrement, que l’on pourrait vivre dans un endroit non ravagé par le règne de l’économie.
Afin de contrer le fatalisme, il nous reste donc à opposer un processus inverse à celui de la métropolisation, un mouvement qui aurait pour but de relocaliser le pouvoir des habitants. De la même manière que la sortie de l’Union européenne est la seule façon pour les peuples de retrouver un peu de souveraineté, la sortie de la métropole est la seule façon pour les simples habitants d’espérer retrouver un peu de liberté d’action. (...)