Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
observatoire des inégalités
Pauvreté : un plan cohérent, mais insuffisant
Article mis en ligne le 13 octobre 2018
dernière modification le 10 octobre 2018

La nouvelle stratégie de lutte contre la pauvreté constitue un changement d’orientation important. Mais oublie toute une partie de ceux qui sont en difficulté aujourd’hui. Par Denis Clerc, fondateur du mensuel Alternatives Économiques.

Ce que tout le monde appelle le « plan pauvreté », dévoilé par le chef de l’État le 13 septembre dernier est dénommé officiellement « Stratégie nationale de prévention de la pauvreté ». Il vise donc moins la réduction (au moins immédiate) de la pauvreté dans notre pays que sa prévention, c’est-à-dire l’élimination des engrenages qui font que l’on y tombe de manière durable. Il s’agit donc d’un changement majeur par rapport au précédent « plan pauvreté » présenté en 2012, qui tablait notamment (mais pas uniquement) sur une hausse du RSA de sorte que le pouvoir d’achat des allocataires soit revalorisé de 10 % en cinq ans. Ce qui fut fait, mais sans grand effet sur le taux de pauvreté, passé de 14,2 % (2012) à 14 % (2016). Pour une raison simple : le RSA pour une personne seule est de 491 euros (après déduction du « forfait-logement » pour les personnes percevant une allocation logement, soit 92 % des bénéficiaires du RSA), alors que le seuil de pauvreté est de 1 026 euros : en gros deux fois plus. Augmenter de 10 % le montant du RSA ne comble qu’une petite partie de l’écart : cela améliore le sort des pauvres, mais ne les fait pas sortir de la pauvreté [1].

La stratégie qui est proposée aujourd’hui est bien différente et elle est dévoilée par le président de la République quasiment dès le début de son discours de présentation : « si nous voulons que la pauvreté ne soit plus une impasse définitive, nous devons aussi permettre à tous de retrouver le chemin du travail, (…) parce que le travail procure un salaire, un revenu, bien sûr, parce qu’il ouvre la porte à une vie sociale plus dense, plus riche, parce qu’il donne une fierté, une place dans la société et qu’il permet l’émancipation et la mobilité sociale ». En d’autres termes, ce n’est pas par l’amélioration de la protection sociale qu’on y parviendra, mais par l’emploi. Ce n’est pas faux. C’est seulement insuffisant.

Depuis 2008, l’essentiel de la progression de la pauvreté résulte de trois situations : le chômage (+ 300 000 personnes), la monoparentalité (+ 500 000, avec les enfants concernés) et les jeunes de 18 à 29 ans (+ 300 000). Or, le trait commun à ces situations est leur difficulté à accéder à l’emploi : les chômeurs parce qu’ils ne trouvent rien, les familles monoparentales parce que leur charge d’enfant(s) les en empêche, les jeunes parce qu’on ne leur propose que des emplois de très mauvaise qualité (temporaires, « ubérisés » ou à temps partiel). Face à ce constat, permettre à chacun de trouver un emploi serait donc un grand pas en avant pour sortir de la pauvreté.

La question est de savoir comment. Pour y parvenir, le plan entend s’appuyer d’abord sur l’accompagnement. (...)

Ce qui manque
Ce plan est donc cohérent : tout est mis en œuvre – financièrement également – pour que les obstacles à l’emploi soient sinon levés, du moins identifiés et pris en compte. Pourtant, quelque chose cloche dans cette mobilisation. Certes, on agit à la racine, laquelle s’appelle emploi et formation. Mais on oublie les feuilles, si l’on ose dire. C’est-à-dire le fait que, en attendant que la racine alimente le changement, il faut bien continuer à vivre et que c’est très compliqué. C’est très compliqué d’abord pour ceux dont les moyens sont des plus réduits. N’oublions pas que 2,2 millions de personnes disposent d’un niveau de vie inférieur à 680 euros mensuels et que, si leur nombre a légèrement diminué entre 2012 et 2016 (on en comptait 2,5 millions en 2012), c’est uniquement parce que le pouvoir d’achat du RSA a augmenté de 10 % entre temps. Une chose est de soutenir que la pauvreté ne peut être réduite que par la seule protection sociale, une autre est de maintenir cette protection sociale de base à des niveaux indécents. Augmenter le RSA d’encore 10 % en cinq ans, comme ce fut le cas entre 2012 et 2016, nécessiterait un milliard d’euros, mais apporterait un peu d’air aux 4 % de nos concitoyens qui disposent de moins de 20 euros par jour pour (sur)vivre et qui sont souvent les plus éloignés de l’emploi et ceux qui devront fournir le plus d’efforts pour retrouver un travail.

C’est très compliqué aussi pour certains de ceux qui sont en emploi : temps partiel, contrats courts ou « indépendants maltraités » sont légion parmi ceux qui, au cours des trois dernières années, ont retrouvé un emploi. Difficile d’en donner une estimation, et encore moins de distinguer ceux pour lesquels il ne s’agit que de débuts laborieux qui s’amélioreront, et ceux qui seront les soutiers d’un marché du travail qui se déglingue. La « loi travail » n’en dit hélas mot et les statistiques sont trompeuses. (...)

Bref, le plan pauvreté est composé à la fois de lumières et d’ombres. Il est porteur à la fois d’espoirs et de chausse-trappes, et, comme d’habitude hélas, les plus en difficulté, les plus démunis, risquent de rester sur le carreau. Il est certes possible que cette façon de voir soit pessimiste à l’excès. Souhaitons-le. Mais les désillusions antérieures montrent que, si le pire n’est pas certain, il n’est pas non plus à exclure. Le pas en avant est réel, mais le faux pas est possible. (...)