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Petit guide de survie à l’usage de l’homme politique mis en cause
Article mis en ligne le 25 février 2020

Tenir à distance le stigmate de la délinquance

Comme l’ont montré Carla Nagels et Pierre Lascoumes, les élites économiques et politiques, lorsqu’elles enfreignent les règles, cherchent à tenir à distance le stigmate dégradant de « délinquant ».

En effet, une constante de la déviance des élites est que, précisément, elles ne se perçoivent pas comme délinquantes, même quand elles font l’objet d’une répression pénale ou d’une peine de prison. Ainsi, Nicolas Sarkozy de se scandaliser, en sortant de garde à vue :

« Vous rendez-vous compte ! ? J’ai été traité comme un délinquant ! »

Du fait de leur proximité avec les lieux de pouvoir et les ressources symboliques et culturelles dont elles disposent, les élites sont en mesure de développer un ensemble de « techniques de neutralisation » de la fraude, soit des mécanismes de rationalisation efficaces et complexes qui permettent de justifier la transgression, de la minimiser ou de l’excuser. L’objectif de ces mécanismes est de maintenir à distance « le stigmate de la délinquance ».

Une activité transgressive « habituelle »

D’après Michael Benson, professeur de droit à l’Université de Cincinnati, maîtriser la perception relative aux faits délictueux et tenir à distance la dégradation symbolique repose sur quatre mécanismes. (...)

Dans un premier temps, la défense devra dépeindre l’activité transgressive comme normale, routinière, habituelle, de façon à lui ôter sa dimension blâmable et transgressive. (...)

Ensuite les mis en cause seront présentés par leurs soutiens comme des personnes hautement respectables, et ce de façon indiscutable, sans ambiguïté. (...)

Les élites seraient aussi nécessaires au bon fonctionnement de la société, qui ne pourrait s’organiser autrement que par cette hiérarchie sociale (...)

Plaider « l’erreur de jugement »

Lorsque les élites ne parviennent pas à nier leur implication dans une infraction, la situation est alors présentée comme une aberration ou un accident de parcours dépourvu de toute intentionnalité fautive (...)

Une fois construit ce tableau, Fillon et ses conseils pourront alors reprendre la main sur le débat, invitant à interroger « qui » avait intérêt à ces révélations spectaculaires. Il a ainsi été dit que les révélations du Canard Enchainé ont coûté au favori des Républicains son siège lors de la campagne présidentielle de 2017.

Il est tout à fait intéressant de noter là encore le rapport particulier de l’élite à la norme : tantôt elle la fabrique, tantôt celle-ci serait instrumentalisée à son encontre. C’est là encore le cas de Carlos Ghosn, dont la « fuite » est présentée comme une « évasion » qui se justifie au regard de son statut social, au-dessus des lois.

Finalement, dans ce registre, la gravité des faits est transformée en gravité de l’accusation : l’accusation dont l’homme est victime serait la preuve même de sa grandeur, si bien qu’accuser l’ancien premier ministre des Français ce serait presque en vouloir à la démocratie même.

En parallèle, le travail de la défense consistera à saper la crédibilité, voire la moralité de ceux qui les accusent (...)

Le coupable-innocent : les rituels de restauration

Si les juges ne sont pas sensibles à ces arguments, il faudra alors que la défense articule une seconde phase, décrite par Lascoumes comme celle des « rituels de restauration » (...)

Ces rituels peuvent être techniques, pour traquer la faille de procédure. (...) il s’agit de brouiller les pistes, de lancer des procédures-baillons contre la partie adverse ou d’évoquer des questions prioritaires de constitutionnalité qui repoussent les procès dans le temps. Les conseils peuvent ainsi « jouer la montre », puis dans le même temps décrier une justice « trop tardive », rendue « trop longtemps après les faits » ou encore tout à la fois un « acharnement judiciaire » à l’encontre de leur client. En parallèle, des voix opportunes peuvent s’élever pour décrire combien le mis en cause, lui-même, attend ce procès, qui « fera toute la lumière sur l’injuste situation dont il est victime ». Lascoumes souligne à cet égard l’importance du « réseau » pour les élites et le rôle de soutien de moralité que celui-ci peut jouer.
(...)