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Pierre Rabhi : "l’écologie interroge notre regard sur la vie"
Article mis en ligne le 20 février 2013
dernière modification le 16 février 2013

Nous sommes aujourd’hui dans un contexte général d’interrogations sur l’avenir, et l’écologie entre en ligne de compte comme un paramètre qu’il faut appréhender. C’est normal. Mais ce paramètre, qui est essentiel, n’est pas suffisamment mis en exergue, selon moi. Je dirais qu’on met un peu d’écologie pour condimenter l’ensemble du système, mais l’écologie n’apparaît pas encore comme un urgence et une priorité absolue. Au contraire. Je dirais même que l’écologie politique reste un peu limitée. Je pense que c’est parce qu’elle s’appuie sur du factuel. Or l’écologie ne nous interpelle pas seulement sur le trou d’ozone, le carbone ou sur l’épuisement des ressources, mais aussi sur un registre plus intime, un registre de l’ordre du personnel. L’écologie interroge notre regard sur la vie, notre positionnement par rapport aux mystères de la vie. Il n’y a pas assez de beauté invoquée, pas assez de mystères. On reste sur un discours élémentaire, mais qui ne prend pas l’élan de quelque chose de plus fondamental et essentiel.

(...) Notre-Dame-des-Landes est un exemple de cette modernité qui ne prend à l’évidence pas en compte la priorité écologiste. Quand on détériore un espace vivant, on le détériore pour très longtemps. On fait une soustraction douloureuse sur ce patrimoine vivant, alors qu’on aurait besoin au contraire de mieux le préserver. A partir de là, je ne peux pas souscrire à des caprices immédiats face à quelque chose qui a plutôt une densité éternelle. (...)

On ne peut pas, sous prétexte de créer de l’emploi, détruire ce qui est le patrimoine collectif de l’humanité, depuis le passé jusqu’au futur. (...)

Je récuse de manière radicale le modèle, car il donne la priorité absolue au profit au détriment de l’humain et de la nature. Je ne peux pas admettre ce modèle, qui est comme une idéologie intégrée. Il provoque les symptômes négatifs, et ensuite on nous demande de nous acharner sur ces symptômes, sans aller vers la raison première qui a elle-même déterminée le modèle. C’est de cette raison dont il faut se débarrasser. Sinon, on maintiendra la logique qui produit les dérives et les dysfonctionnements. Croire que, parce qu’on va rajouter quelques emplois par-ci ou par-là – même s’il s’agit de milliers d’emploi ! – cela s’inscrit dans une continuité de la durée de la vie, c’est une illusion. On répond à une problématique limitée en mettant en cause les fondements limités. On est dans le délire complet. Il faut se débarrasser de ce modèle de croissance économique infinie, qui a produit une féodalité planétaire. Si on fait le bilan, qui profite de toute cette mécanique mondiale ? C’est quand même un tout petit club de super-nantis, qui laisse dans la détresse, voire dans l’indigence, la majorité de l’humanité… (...)

Vous savez, l’écologie aurait dû être enseignée à l’enfant depuis tout petit. On devrait lui apprendre qu’il est vivant grâce à la vie, telle qu’elle s’est organisée, et qu’il est une des expressions de cette Vie. Qu’il doit respecter. Mais on est loin du compte, car il y a le profit, complètement stupide et sans limites, qui s’est emparé de tout, et au lieu de voir notre planète comme une magnifique oasis sur laquelle on a beaucoup de chances de vivre, on la voit comme un gisement de ressources qu’il faut épuiser jusqu’au dernier arbre. Tant que notre conscience ne se sera pas suffisamment élevée pour concevoir que cette planète nous offre tout, absolument tout, de quoi nous nourrir, de quoi nous réjouir, de quoi nous guérir, etc… nous continuerons de la polluer, de la dégrader, d’en faire un champ de bataille, de violence et d’égorgement. C’est l’horreur. (...)

Je ne suis pas dupe de ce que signifie le politique, aujourd’hui, je ne suis pas dupe des accointances, de ce qui se passe dans les coulisses, des intérêts des uns et des autres. Je sais tout ce qui se déclenche quand il y a du « politico-commercialo-profito » derrière tout ça. C’est ce qui fait obstacle au changement. (...)

Il faut vraiment reconnecter le destin de l’humanité avec les fondements de la Vie. Or, aujourd’hui le destin de l’humanité a mis une règle du jeu totalement artificielle, puisqu’on est parti sur une dissociation de la nature et de nous-mêmes. Non ! Je suis la Nature, vous comme moi, nous sommes la nature. Nous ne sommes pas des robots fabriqués je ne sais comment, nous sommes véritablement la nature. Nous sommes des mammifères, qu’on le veuille ou non. Ce n’est pas « la nature » et « moi ». La Nature, c’est moi.