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la relève et la peste
« Plus ça va et plus ces couches de réalité augmentée nous éloignent du rythme naturel de la Vie »
#sauvage #realiteaugmentee
Article mis en ligne le 10 janvier 2023

"Dans une logique d’autonomie et de respect du vivant, apprendre à réutiliser ses mains autrement qu’en pianotant sur un clavier ou un écran est essentiel. C’est aussi, et surtout, une manière d’”atterrir”, de se réapproprier le temps et la façon."

Anne-Sophie Novel est une journaliste indépendante et réalisatrice spécialisée dans les questions environnementales. À rebours du rythme imposé par nos sociétés modernes effrénées, elle s’est plongée durant un an dans une quête du Sauvage, et de la façon dont nous pouvons nous reconnecter à notre environnement pour mieux le préserver. Elle partage aujourd’hui ses enseignements avec La Relève et La Peste.

La Relève et La Peste : C’est quoi le Sauvage ? et qu’est-ce qui vous a poussé à démarrer cette enquête ?

Anne-Sophie Novel : L’histoire de l’enquête vient d’une synchronicité entre mes questionnements après mon enquête sur les médias, l’arrivée du confinement et la maison d’édition « La Salamandre » qui lançait une collection avec « les Colibris » et voulait me confier une enquête sur la Nature et notre rapport au Vivant. 

J’avais une très bonne connaissance de ces questions d’un point de vue intellectuel, mais pas une compréhension sensible, dans le sens des éléments vécus par le corps. Lors de ma précédente enquête pour mon film « Les Médias, Le monde et Moi », j’étais arrivée à la conclusion que les médias ont parfois une façon de parler des sujets qui est décorrélée du ressenti et du vécu des gens. Je voulais trouver comment parler de la biodiversité de façon plus concernante.

Le Sauvage est un terme un peu à la mode aujourd’hui. J’ai voulu employer le mot « Sauvage » car il a été politiquement utilisé pour disqualifier, faire appel à des peurs ou quelque chose de négatif alors qu’il n’y a rien de plus essentiel à la vie que le sauvage, nous devons le considérer avec respect, qu’il ne faut pas chercher à apprivoiser, instrumentaliser, exploiter ou anéantir… (...)

Les notions découvertes récemment par les scientifiques d’amnésie émotionnelle environnementale – Robert Pyle parlait d’une « extinction de l’expérience de nature » – et de distance qui se crée avec le monde vivant proviennent en partie du fait qu’on n’a plus cette expérience de nature dès le plus jeune âge et qu’on n’a pas de lien d’attachement et de compréhension, une expérience corporelle qui va nous donner une mémoire des choses. Or, ces expériences sont fondamentales pour mieux appréhender notre environnement. (...)

À force de côtoyer le “grand dehors”, on développe une autre écoute de ce qui nous entoure, un autre style d’attention : nos sens sont stimulés très différemment, on redécouvre l’odorat, le toucher, la vue et cela ne peut qu’interroger l’usage de nos mains aujourd’hui. Sommes-nous en mesure de les utiliser comme auparavant ?

J’ai récolté plusieurs témoignages qui parlent de cette redécouverte des sens, dont celui de Geoffroy Delorme, l’”Homme-Chevreuil” que j’ai été rencontrer dans sa forêt de Bord-Louviers, dans l’Eure, en Normandie. En sept ans passés dans la forêt jour et nuit pour vivre avec les chevreuils, il a totalement renouvelé son approche sensorielle du monde – pour reconnaître les essences d’arbre au toucher de leur écorce la nuit ou pour reconnaître les plantes à l’odorat, pour reconfigurer son palet et son échelle gustative aussi, le sucre étant nettement moins présent dans la nature… (...)

J’ai aussi longuement échangé avec un journaliste ancien de LCI qui a tout plaqué pour devenir herboriste et travailler la terre et les plantes pour remettre du sens dans sa vie. Je pense aussi à la designeuse Caroline Gomez qui, en renouant avec le vivant, a décidé d’envisager autrement son métier. Pour elle désormais, il n’y a rien de tel qu’un objet imparfait, où l’on sent le geste et la façon.

À Bordeaux, la Philomatique (une société savante qui propose depuis 50 ans des formations à l’artisanat) m’a aussi expliqué il y a peu observer un énorme regain depuis 5 à 6 ans de gens qui bifurquent pour retrouver des métiers de sens où on mesure concrètement le travail manuel.

Le besoin de retrouver du concret passe par un travail manuel où on va faire des choses simples, pour sortir de cette réalité numérique.