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Presque deux mois après l’ouragan Maria Porto Rico se bat pour survivre
Article mis en ligne le 28 novembre 2017

Le gouvernement des Etats-Unis et les principaux médias s’efforcent de donner l’impression que, suite à l’ouragan Maria, la situation est normalisée à Porto Rico. Or, son statut colonial et la crise économique – qui avait explosé avec force dès 2006 – ont non seulement été rendus encore plus visibles par l’ouragan Maria, mais ont révélé à l’échelle internationale la situation de la population portoricaine, dont une partie fort importante a un statut d’immigré aux États-Unis. Un reportage à lire.

Presque deux mois après l’ouragan Maria qui a frappé Porto Rico, l’île s’adapte à une nouvelle réalité.

Comme l’a dit un activiste que nous avons rencontré, l’ouragan Maria a arraché les feuilles des arbres et a aussi arraché le mince voile qui dissimulait à peine la pauvreté et la misère généralisées.

Les premières semaines après la tempête ont été une période durant laquelle les gens ont travaillé uniquement pour assurer la sécurité de leurs familles, de leurs amis et de leurs proches, en utilisant des méthodes de communication alternatives pour atteindre les gens dans différentes régions. Avec très peu de soutien de la part du gouvernement, les gens ont mis leurs ressources en commun pour nettoyer leurs maisons et essayer de sauver ce qui était récupérable.

A la mi-novembre, environ les deux tiers des résidents de l’île sont encore sans électricité. Bien que les autorités promettent de rétablir l’alimentation électrique de 95% des habitants d’ici à la mi-décembre, les tentatives de réparation du réseau électrique ont déjà souffert de nombreux problèmes et pannes.

En conséquence, beaucoup de gens doivent compter sur des générateurs électriques pour la production d’électricité, ce qui pollue l’air et provoque des nuisances sonores. Sans électricité fiable, les gens luttent pour conserver et cuisiner la nourriture, nettoyer leurs vêtements et garder les médicaments dont ils ont désespérément besoin, comme l’insuline.

Tandis que 75% de l’île dispose de l’eau courante au moment de la rédaction de cet article, les gens font encore la queue pendant des heures pour obtenir de l’eau en bouteille, parce que l’eau du robinet n’est pas potable suite à la tempête. Dans la région de Rio Piedras à San Juan, l’eau du robinet était d’une couleur bleue lorsqu’elle sortait des robinets.

Les pénuries de certains produits se répercutent à des moments différents, créant des augmentations brusques de prix. Par exemple, juste avant notre arrivée, il y avait une pénurie de produits anti-moustiques, ce qui, maintenant, relève d’une nécessité sur l’île.

Officieusement, le nombre de morts informels est de l’ordre de 900, mais il est probable que ce soit plus, car le réseau de communication reste insuffisant, les rapports sont peu nombreux et le système médical est encore en crise. (...)

La compréhension commune sur l’île est que les gouvernements locaux et fédéraux ont complètement abandonné les Portoricains ordinaires.

La situation actuelle à Porto Rico est le résultat de multiples catastrophes qui ont aggravé les conséquences pour les résidents.

D’abord, il y avait la sévérité de l’ouragan lui-même. « C’était comme si une tornade de 80 à 90 kilomètres de large écrasait Porto Rico, comme un rouleau compresseur », a déclaré Jeff Weber, météorologue au Centre National de Recherche Atmosphérique.

L’ouragan a affecté les organismes chargés de l’intervention d’urgence comme tous les autres. Sans moyen de communication, d’électricité et d’approvisionnement en diesel, ils n’ont pas pu distribuer les secours nécessaires.

Il y a ensuite les échecs de la FEMA [l’Agence fédérale des situations d’urgence] et du gouvernement insulaire en raison de leurs priorités politiques. (...)

la FEMA s’est rendue tristement de ville en ville en distribuant… des formulaires à remplir par les résidents. L’agence a même exhorté les gens à déposer leurs demandes… en ligne – quand la majeure partie de l’île n’avait pas d’électricité ou de service de téléphone mobile !

Le Corps des ingénieurs de l’armée américaine est également impliqué dans une controverse, parce que pendant des semaines après l’ouragan, son programme « blue top » – qui est censé distribuer des bâches goudronnées pour les toits détruits ­– a été terriblement lent et bureaucratique.

Des dizaines de scandales se camouflent sous la surface. Les Portoricains les connaissent, mais ces faits n’ont pas été largement rapportés dans la presse américaine. (...)

« les alarmes d’inondation n’ont pas fonctionné ».

Dans une dépêche de la presse locale, le responsable a admis, comme l’a dit notre ami, « une négligence criminelle et une fraude du pouvoir fédéral », déclarant dans le même souffle que le système d’alarme n’était pas apte à fonctionner et qu’il avait été pourtant certifié par le gouvernement fédéral comme étant capable d’alerter les gens en cas d’arrivée d’un tsunami.

De même, le gouvernement fédéral continue de nier que Porto Rico ait souffert de tout problème lié à la leptospirose, une maladie curable qui se diffuse par l’eau contaminée. Bien qu’il y ait des douzaines de cas confirmés par des travailleurs médicaux, ils n’ont pas été relevés « officiellement » comme le début d’une épidémie ou une épidémie.

C’est la même chose avec le nombre de victimes de l’ouragan. Les autorités préfèrent compter les victimes en fonction des causes immédiates, comme des coups de chaleur, plutôt que de causes sociales en lien avec l’ouragan, comme le manque de climatisation. (...)

Le Corps des ingénieurs de l’armée ­comme la FEMA – semble-t-il – agissent comme des courtiers pour les entrepreneurs privés. Un accord a été passé avec Fluor Corporation, l’entreprise multinationale d’ingénierie et de construction basée au Texas, d’un montant de 200 à 840 milliards de dollars afin de restaurer le réseau électrique (...)

Une autre cible majeure pour les acteurs de la privatisation est représentée par les plus de 1000 écoles publiques sur l’île. (...)

La Federación de Maestro de Porto Rico (FMPR), le plus conscient socialement des deux principaux syndicats d’enseignants, est l’une des seules forces dont nous pouvons témoigner de la capacité d’organisation directe contre les programmes de privatisation du gouvernement.

Le FMPR a établi un lien entre les effets de l’ouragan Katrina – qui a donné à l’Etat de Louisiane l’occasion de fermer toutes les écoles publiques de La Nouvelle-Orléans et de les réouvrir en tant qu’écoles à gestion privée – et l’ouragan Maria à Porto Rico.

La secrétaire portoricaine à l’éducation, Julia Keleher, n’a pas caché son désir de recourir à la crise pour changer le statu quo d’avant l’ouragan en adoptant le langage de ceux favorables à la fermeture et à la privatisation des écoles aux États-Unis. Mais le FMPR conteste directement les fermetures d’écoles. Et demande au gouvernement local de réouvrir celles qui sont sûres pour que les enfants puissent y aller.

En raison de la relation coloniale entre les États-Unis et Porto Rico, de la négligence fédérale après l’ouragan et de l’état désastreux de l’économie avant l’ouragan Maria, la crise post-ouragan promet d’être plus longue que dans des endroits comme La Nouvelle-Orléans.

Cela pourrait entraîner une situation qui se détériore très soudainement. Les épidémies de masse sont une menace omniprésente, contribuant à un degré extrême d’instabilité pouvant se développer dans plusieurs directions. (...)

Le sentiment répandu est que les gens ne peuvent pas compter sur le gouvernement dans un moment de crise. Ils doivent donc s’organiser pour améliorer un peu la situation.

Partout où nous sommes allés, nous avons rencontré des gens qui avaient tout perdu, mais qui travaillaient contre les fermetures d’écoles et pour l’entraide. Un slogan entendu autour des centres d’entraide qui sont apparus dans différentes villes et villages reflète cet état d’esprit : « Parce que nous ne sommes pas riches, une réponse collective nous rend riches ».

Les gens mettent régulièrement leurs ressources en commun pour répondre aux besoins d’un plus grand nombre de personnes. (...)

Le slogan du CAM « Je ne peux pas manger l’austérité ! Je cuisine la dignité ! » a touché une corde sensible. La crise a conduit à une croissance de l’idée d’auto-organisation venant d’en bas.

Malgré cet esprit de solidarité instinctif, une résistance au gouvernement et à l’indifférence coloniale ainsi qu’aux profits privés prendra du temps à se développer, étant donné l’ampleur de la crise. (...)

Après plusieurs semaines d’organisation des familles et des enseignants afin d’engager une action directe dans les bureaux des responsables, ainsi que des manifestations et des interviews avec la presse, l’école – l’une des dernières encore existante dans la région, dont la fermeture aurait été douloureusement ressentie – a réouvert ! (...)