L’offensive sur Gaza a rendu évidente l’hégémonie de la droite raciste et militariste en Israël. Au point de faire peur à de nombreux citoyens qui ne reconnaissent plus leur pays et craignent de le voir disparaître, témoigne Michel Warschawski.
Que dit l’offensive militaire contre la bande de Gaza de la société israélienne ? Quelles conséquences aura-t-elle sur l’avenir du Proche Orient ? Basé à Jérusalem, le journaliste franco-israélien Michel Warschawski, ardent opposant à la colonisation, est aussi un fin analyste du conflit. Bien connu des lecteurs du Courrier, dans lequel il tient une chronique mensuelle, ce fils de rabbin, né à Strasbourg en 1949, est aujourd’hui le principal animateur de l’Alternative information center (AIC), un centre d’information alternative. Rencontre à Jérusalem, alors que les bombes pleuvaient encore sur l’enclave palestinienne de Gaza.
Pourquoi cette guerre à Gaza ?
Michel Warschawski : Il faut tout d’abord dire que Gaza est secondaire. Pourquoi la guerre, point. A mon avis : pour repousser le plus longtemps possible toute velléité internationale de tendre à l’ouverture de négociations. L’ennemi stratégique du gouvernement israélien, c’est la négociation. Ce gouvernement ne veut pas négocier. Certes, dans l’air du temps, il y a comme une volonté américaine et européenne de pousser Israël à négocier. Il leur faut donc faire contre-feu. Il était clair qu’en attaquant Gaza, les négociations seraient rendues impossibles. C’était l’objectif stratégique le plus important.
Dans le même état d’esprit, la cible n’est pas le Hamas, c’est Mahmoud Abbas (président de l’Autorité palestinienne et leader du Fatah, ndlr). Mahmoud Abbas est celui que la communauté internationale présente comme prêt à discuter ; celui dont tout le monde dit à Israël : « C’est avec lui que vous devez parler. » En attaquant Gaza, ce gouvernement met Mahmoud Abbas dans une situation impossible. Soit il se solidarise avec Gaza et donc avec le Hamas, renforçant le discours de Netanyahou qui diabolise le Hamas et sa propre personne. Soit il se désolidarise, et perd alors toute légitimité palestinienne. Pour Israël, cela semble donc être une situation « win-win ». Sauf que cela ne se passe pas tout à fait comme cela. Car Mahmoud Abbas est poussé par les Américains à jouer le rôle d’intermédiaire. Le président de la Palestine se trouve ainsi à jouer le rôle des Nations unies alors que c’est son peuple qui est attaqué. Mahmoud Abbas reste au cœur de l’action diplomatique. Ils n’ont pas réussi à le neutraliser, mais sa position est fragile.
Un sondage dit que 80% des Israéliens soutiennent l’intervention à Gaza. Quel regard portez-vous sur cette société, qui a glissé vers la droite et semble suivre aveuglément Netanyahou et Lieberman ?
Il n’y a pas l’ombre d’un doute, les hommes politiques et le gouvernement, ont clairement glissé à droite en Israël. Et pourtant, je pense que la société israélienne est divisée sur le fond en deux moitiés – une grande et une petite. Un peu moins de 50% soutiennent la politique de la droite et votent pour ces partis. L’autre moitié n’aime pas les colons, se moque du Grand Israël et aspire à une solution de compromis. Et puis, il y a quand même, au milieu, une petite frange qui s’abstient ou vote pour des partis du centre.
La grande asymétrie entre ces deux pans de la société, c’est que la droite est au pouvoir. Elle agit, dans une urgence permanente, alors que les modérés, qui ne paient pas le prix de la colonisation, sont insouciants. La situation est calme, rien ne semble menacer Israël – jusqu’à cette dernière crise. (...)
Le tournant date de 2000. C’est la reconquête, la fin du mouvement de la paix. Ce sont les positions et les discours d’Ehud Barak qui détruisent la paix. Les gens n’y croient plus. Ainsi la moitié qui n’est pas de droite sort démobilisée, déboussolée de ces années, offrant un monopole idéologique à la droite. (...)
Le pouvoir français, et les éditorialistes qui couvrent ce conflit, disent vouloir éviter son « importation ». C’est un mot que je ne comprends pas. Lorsqu’il y eut un immense mouvement de solidarité avec le Viêt-Nam, importait-on ce conflit ? Non. On identifiait une grande injustice et un grand combat ! Et tout le monde ou presque était vietnamien. Il en est de même aujourd’hui avec le conflit israélo-palestinien, tout aussi emblématique. Il se trouve sur la ligne de front du soi-disant choc des civilisations.
Si l’on veut vraiment parler du risque d’importation du conflit, il faudrait alors désigner les institutions juives, soi-disant représentatives des juifs de France, de Suisse, d’Allemagne, qui deviennent de fait des ambassades d’Israël, ses bureaux de propagande.
Eux, oui, « importent » le conflit en affirmant, pour résumer, que les juifs de France, c’est Tsahal (surnom de l’armée israélienne, ndlr). Beaucoup d’autres Français, et en particulier d’origine musulmane répondent que si les juifs de France c’est Tsahal, les musulmans de France c’est le Hamas. A ce moment-là, on fait d’un conflit politique étranger, une lutte de communautés en France. Mais à mon avis, 100% de cette responsabilité retombe en France sur le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) ou, ailleurs, sur des organisations équivalentes. (...)
Que pensez-vous du discours dépeignant le Hamas en un mouvement terroriste ?
Michel Warschawski : Le Hamas est à mes yeux avant tout un mouvement de résistance. Sa charte ne m’a jamais dérangé, parce que celle de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine, qui négocia la mise sur pied de l’Autorité palestinienne avec Israël au début des années 1990, ndlr) était exactement pareille avant que l’OLP n’en change. Une charte, c’est un bout de papier. La charte du Likoud, c’est le Grand Israël jusqu’en Syrie. Or, plus personne n’en parle aujourd’hui. (...)