Contrairement aux allégations du Front national, qui évoque « la submersion migratoire dont notre pays est victime », l’Hexagone fait partie des pays où les chances d’obtenir l’asile sont les plus faibles [1]. En 2015, la France a rejeté 67 % des demandes, contre 47 % en moyenne en Europe. Elle est le 25ème pays, sur 32, en taux d’octroi, alors qu’elle n’a reçu qu’une faible proportion (5,6 %) de l’ensemble des demandes de protection. En 2015, sur 24,5 millions de personnes contraintes à fuir leur pays à travers le monde, 1,26 millions ont déposé une demande d’asile en Europe, dont 74 468 en France [2].
Parmi les personnes déboutées du droit d’asile, plusieurs milliers ont subi des actes de torture, dénonce le centre Primo Levi. Créé en 1995 avec le soutien de Médecins du Monde, d’Amnesty International et de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat), le centre Primo Levi offre chaque année à 400 personnes réfugiées – hommes, femmes et enfants victimes de torture et de violence politique – une prise en charge psycho-médicale et, si nécessaire, un accompagnement juridique et social. Plus de 50 % des personnes suivies en 2015 ont été déboutées du droit d’asile [3]. (...)
Des fonctionnaires mal formés
Comment expliquer de tels dysfonctionnement ? Le centre Primo Levi met d’abord en cause le manque total de formation des fonctionnaires qui auditionnent les réfugiés et à qui revient la responsabilité d’accorder – ou non – l’asile. « Parmi les effets psychiques de la torture figurent des perturbations de la mémoire qui s’expriment souvent par des manifestations contradictoires, telles que l’amnésie (partielle ou intégrale) ou l’hypermnésie (mémoire extrêmement détaillée) ». Mettre en cause le manque de cohérence du récit d’une personne torturée révèle donc une méconnaissance totale de ce par quoi elle est passée. Dans les notifications de refus de demandes d’asile, on trouve pourtant des allégations du type : « Le récit s’est révélé impersonnel et particulièrement désincarné », « les allégations furent invariablement nébuleuses », « les circonstances ont été exposées de manière approximative et impersonnelle ».
« La torture vise à produire l’inimaginable [par une] incroyable démesure de la violation de l’humain afin de rendre folle la victime et de l’exclure pour toujours de la communauté des "hommes respectables", insiste Beatrice Patsalides Hofmann, psychologue au centre Primo Levi. (...)
Épuisées, angoissées, ne parlant souvent pas un mot de français, les personnes qui demandent l’asile en France sont arrivées là au terme de parcours d’exil long, chaotique, et ponctué de nouvelles violences. Elles sont seules et sans repères, et peuvent donc facilement perdre leurs moyens en face de fonctionnaires qui vont décider de leur sort.
Suspicions de mensonges
Le centre Primo Levi exige que cela soit pris en compte. Il recommande par ailleurs d’allonger les entretiens. Les demandeurs d’asile n’ayant en général que deux heures pour retracer leurs parcours. (...)
L’association regrette que les instructions de demande soient trop souvent menées à charge, en contradiction totale avec le principe de l’asile. (...)
Que deviennent les personnes déboutées du droit d’asile ? Rares sont celles qui retournent au pays de leur plein gré. Sur les 42 456 personnes déboutées en 2015, seules 1 650 sont rentrées via le dispositif d’aide au retour encadré par l’office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii). 17 000 ont été reconduites à la frontière par la police française, parfois vers des pays où leur sécurité n’est pas assurée. Les autres restent en France, en dehors de toute protection sociale : elles ne peuvent plus être hébergées, et ne touchent plus l’allocation pour demandeur d’asile (de 200 à 340 euros par mois). Ils n’ont pas non plus le droit de travailler. (...)
" Quand on est meurtri dans son corps et dans sa psyché, on ne peut pas guérir ; on reste sous la coupe du bourreau. " La France, pays des droits de l’homme...