
Ce n’est pas d’un braquage qu’il s’agit dans ce livre sur « la casse du siècle » mais d’un grand gâchis : P. A. Juven, F. Pierru et F. Vincent utilisent un jeu de mot pour caractériser la situation de l’hôpital public français. Ils analysent les réformes de l’hôpital pour comprendre comment il pâtit aujourd’hui de deux crises bien différentes mais qui se recouvrent en partie.
La première, organisationnelle et gestionnaire, prône le fameux « virage ambulatoire » et conduit à l’option « moins d’hôpital ».
La seconde, budgétaire, dénoncée par les soignants, se penche sur les difficultés des professionnels de santé (débordements chroniques, accès aux soins qui n’est plus garanti pour les patients) et conduit à la revendication « plus de moyens ».
L’objectif du livre est de « plaider simultanément pour une augmentation des moyens accordés à l’hôpital public et pour la nécessité de le délester de certaines tâches, à condition que le report vers la ville soit correctement financé et organisé, ce qui est aujourd’hui loin d’être le cas » (p. 15). Les enquêtes qualitatives menées par chacun des trois auteurs entremêlent l’analyse des deux crises évoquées, qui amènent l’hôpital à se centrer davantage sur des soins techniques et à perdre peu à peu sa dimension d’accueil historiquement universaliste. (...)
Ce livre présente donc un triple intérêt. Il permet d’une part de mieux comprendre pourquoi le secteur de la santé perd en « qualité de vie au travail » [5] et comment les conditions de travail à l’hôpital peuvent aujourd’hui être analysées comme « un problème de santé publique » [6]. Il donne d’autre part à comprendre comment les réformes ont rendu l’hôpital de moins en moins efficace dans un contexte de vieillissement de la population et d’augmentation des poly-pathologies et maladies chroniques. Si l’inaction des acteurs politiques et la décision de ne pas réformer met la population en danger [7], les réformes peuvent aussi être analysées ici comme une « dérive politique » (policy drift) [8] qui menace le bien-fondé de l’hôpital.
Il conduit enfin à considérer que l’hôpital ne peut plus être abordé sans tenir compte de la médecine de ville. (...)
l’inverse est tout aussi vrai et la place donnée à la médecine de ville dans le marché de l’offre de soins en France est cruciale à analyser au regard des missions d’accueil de l’hôpital : le recours croissant aux services d’urgence et autres PASS (permanences d’accès aux soins de santé) doit être en effet pensé en lien avec les maisons médicales de garde et autres modes d’accès aux soins primaires. L’articulation entre la ville et l’hôpital fait d’ailleurs partie des enjeux de demain et conduit à sonder les points de basculement possibles (...)