
Depuis plus de trente ans, l’obsession autour du voile sature le débat. Cette campagne présidentielle n’y échappe pas dans le prolongement du quinquennat. Marine Le Pen entend même l’interdire dans l’espace public si elle était élue. Mediapart donne la parole aux premières concernées, heurtées par ces polémiques récurrentes.
Un bout de tissu les sépare. C’est en tout cas ce que les deux finalistes de l’élection présidentielle tentent de mettre en scène. Interpellé sur son féminisme à Strasbourg par une jeune fille portant le voile, Emmanuel Macron a au préalable demandé à son interlocutrice si elle avait été contrainte de se couvrir les cheveux. Elle a expliqué le porter de son propre chef. Il a jugé « beau » qu’une femme puisse lui poser une telle question. « C’est la meilleure réponse à toutes les bêtises que je peux entendre. »
Une allusion transparente à Marine Le Pen qui propose de sanctionner d’une amende le port du voile dans l’espace public, les commerces et « tout espace accueillant du public » qu’elle assimile à un « uniforme islamiste ». Plus tard, la candidate du Rassemblement national a réaffirmé que « l’interdiction du voile est essentielle » alors que quelques secondes plus tôt, elle affirmait qu’il n’était pas « l’élément le plus fondamental » de sa proposition de loi. Ce week-end, pour éviter de donner des précisions sur les contours de cette loi, elle s’est retranchée derrière une discussion future au Parlement. (...)
Au-delà de ces positions électorales, le quinquennat écoulé a débordé de controverses autour de ce sujet hautement inflammable dans le débat public. Il y a deux mois, le Sénat entendait interdire aux sportives portant le voile de concourir lors des compétitions.
« Le voile n’est pas souhaitable dans notre société. Ce n’est pas quelque chose à encourager », avait, de son côté, déclaré le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, fin 2019 (...)
En 2020, des députés LR et l’élue LREM Anne-Christine Lang ont quitté avec fracas une audition à l’Assemblée nationale car une responsable de l’Unef Maryam Pougetoux devait intervenir pour évoquer les effets du Covid-19 sur les étudiants. Or celle-ci porte le voile. Une candidate s’est vu retirer son investiture par le parti présidentiel en mai 2021 pour les élections départementales là aussi à cause de son voile.
Ces événements, loin d’être exhaustifs, contribuent à creuser encore l’abîme entre les citoyens musulmans et les responsables politiques. Un gouffre déjà alimenté par la loi de lutte contre le séparatisme, accusée d’alimenter l’islamophobie et la défiance à leur égard.
Des polémiques trop récurrentes (...)
Elle porte le voile depuis vingt-trois ans et reste interloquée à l’idée que le port du voile soit au cœur des débats année après année, sans jamais aucune lassitude, comme si cela avait une incidence sur la vie quotidienne des Français·es. « Ça me dépasse. » (...)
En cette période électorale, Isabelle s’est informée comme à son habitude. Elle a choisi de donner sa voix à Jean-Luc Mélenchon au premier tour. « Je ne l’aime pas mais c’était le moindre mal, il est le seul à dénoncer les violences et dérives faites aux musulmans. »
Pour le second tour, elle va voter, à contrecœur pour Emmanuel Macron, dans une logique de barrage. « Autour de moi, beaucoup envisagent de ne pas voter. Et je les comprends, le président actuel nous a planté un couteau dans le dos et nous a lâchés pour faire plaisir à une France raciste, il a voulu pas emboîter le pas à l’extrême droite. » (...)
« Je n’en peux plus du climat politique qui règne en France, il est à vomir, je n’ai jamais connu une campagne aussi raciste et nauséabonde », confie cette habitante de Tourcoing qui a mis un point d’honneur cependant à voter, comme elle le fait depuis qu’elle a le droit de vote.
Zakia Meziani porte le foulard depuis son adolescence, depuis si longtemps qu’elle ne sait plus expliquer le cheminement qui l’y a conduite : « Il fait partie de moi. »
Voilà près de quatre décennies enracinées dans le nord de la France qu’elle endure micro-agressions, discriminations, parce qu’elle a fait le choix de ce bout de tissu sur la tête. Elle le portait déjà quand l’affaire de Creil a éclaté en octobre 1989, des mois de polémiques politique, médiatique, intellectuelle quand trois collégiennes ont refusé d’enlever leur voile en classe.
Un marqueur national et personnel : « Cette affaire m’a traumatisée et me traumatise encore. Mon mémoire en maîtrise portait sur les intellectuels français à l’épreuve du voile. J’ai renoncé à une carrière de professeure. »
Fille d’immigrés algériens venus reconstruire la France dans les années 50, musulmane voilée, Zakia Meziani a « l’habitude d’être stigmatisée » mais selon elle, « la violence est aujourd’hui démultipliée, le racisme totalement décomplexé ». (...)
Zakia Meziani a en mémoire plusieurs « séquences violentes » sous le quinquennat Macron. La loi « séparatisme » a marqué une rupture supplémentaire, selon elle : « Cette loi raciste a été pondue par notre ancien maire Darmanin, qui faisait la danse du ventre aux mosquées quand il était maire de Tourcoing. Les fermetures de mosquées qu’elle a entraînées, la dissolution du CCIF, un des rares endroits où les victimes d’islamophobie trouvaient une écoute, tout cela a aggravé le climat de peur : les victimes préfèrent se taire. »
« Macron a anticipé les demandes de l’extrême droite avec sa loi de lutte contre le séparatisme, abonde à son tour Isabelle. Il a fait fermer des associations musulmanes, des mosquées ou des écoles musulmanes sous des prétextes fallacieux. Des enfants sont restés sur le carreau. »
La mère de famille a été très déçue que les membres du gouvernement utilisent le voile « comme un bouc émissaire, comme un enjeu » (...)
En vingt-trois ans, Isabelle a observé « une droitisation » du discours ambiant. « Au premier tour, quatre candidat·es tenaient un discours hostile au voile. On se sent prises pour cibles en permanence, c’est fatigant et navrant. Il y a une facilité à faire porter à la femme musulmane ce poids comme si on avait fait le choix de la radicalité. » (...)
Combattre l’interdiction du voile et ne pas rester passives
L’interdiction du voile voulue par Marine Le Pen dans l’espace public la scandalise mais elle la considère comme « une utopie constitutionnelle ». Elle peine à croire que la France risquerait d’être le premier pays au monde « à mettre sous tutelle ses citoyennes ». « C’est un effet d’annonce, elle veut faire plus Zemmour que Zemmour. »
Elle raconte rire de cette situation qui confine à l’absurde avec ses amies. « On va toutes avoir des amendes ou alors on va porter des chapeaux ou des sacs plastique ! » Plus sérieusement, Sabah Kadi croit en la lutte et ne se démobilise jamais. Elle-même a été exclue du lycée pour le port de son voile. Elle a passé – et décroché – son baccalauréat en candidate libre.
« Et quand bien même Marine Le Pen interdit le foulard, on s’organisera et on s’investira encore plus dans la société. On va déposer des recours à la Cour européenne des droits de l’homme. Comment pourrait-on admettre que le corps des femmes soit ainsi contrôlé ? Ce serait un retour au temps où les femmes n’avaient pas le droit de porter des pantalons. Ce sera fatigant de porter plainte à chaque fois mais on le fera. »
La mère de famille imagine aussi que les pays arabo-musulmans pourraient protester face à cette mesure et mettre au ban la France en refusant d’y investir et de faire du commerce. (...)