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Alternative libertaire
« Presque une lutte des classes sans classes »
Paul Bouffartigue sociologue, directeur de recherche au CNRS.
Article mis en ligne le 5 mai 2010
dernière modification le 3 mai 2010

Peut-on parler de « classe ouvrière » aujourd’hui, face aux transformations du salariat, avec notamment la montée du secteur tertiaire ?

...il faut prendre acte que la notion de classe ouvrière n’est plus un opérateur de mobilisation politique, ne fait plus sens pour désigner un sujet politique révolutionnaire. Devant ces difficultés, les sociologues qui enquêtent sur le monde ouvrier utilisent plus volontiers maintenant la notion de « classes populaires », notion plus pragmatique et plus réaliste que celle de classe ouvrière, qui continue pour autant de faire référence aux clivages de classe, et qui rappelle que ces classes populaires – en gros, les ouvriers et employés – représentent toujours une bonne moitié de la population.

...l’espace du salariat intermédiaire est lui-même l’objet d’un processus de polarisation sociale, avec une minorité qui « tire son épingle du jeu », et une majorité qui est sous la pression des nouvelles contraintes, au travail et en dehors du travail, exercées par le capitalisme financiarisé. Sans dramatiser les dynamiques en cours chez les « classes moyennes », comparativement aux effets dramatiques de la crise dans de larges fractions des classes populaires, elles connaissent incontestablement des difficultés nouvelles, même si ce sont surtout les nouvelles générations qui les subissent de plein fouet.

...l’individualisation du social n’a été possible que par le développement de multiples « supports » sociaux. Leur démantèlement, au nom de la « responsabilisation » des individus, perçus comme fondamentalement responsables de leurs malheurs, conduit tout droit à une formidable régression qui accentuera la précarisation des plus fragiles.

...cette grande bourgeoisie est finalement la seule qui conserve l’ensemble des attributs d’une classe : communauté de situation, de destin, sentiment d’appartenance, et stratégies multiples de reproduction, stratégies dont font partie les actions en vue d’affaiblir le monde du travail. Au passage, cela confirme que la lutte des classes continue d’exister, mais que la configuration des classes qui résulte de cette lutte est, paradoxalement, caractérisée par l’effacement apparent des classes traditionnelles. A la limite, on a presque une « lutte des classes sans classes »…

...Aujourd’hui, la conflictualité sociale se voit d’abord dans la rue, et les salariés n’en ont pas le monopole. La jeunesse scolarisée est de longue date – depuis 1968 au moins – l’une des catégories la plus mobilisée collectivement, et ce de manière récurrente, selon un cycle qui mériterait d’être étudié. La conflictualité sur le lieu de travail est très vivace, mais moins visible que par le passé, car elle prend moins souvent la forme de grèves franches, et plus souvent celle de pétitions, délégations, refus des heures supplémentaires, aux côtés des formes plus traditionnelles de freinage…

...Pour le pire – en l’absence de conflit collectif, c’est l’individualisation et la personnalisation des tensions qui l’emporte, avec la montée de la « souffrance » et du « stress » – et pour le meilleur : l’action collective, même quand elle échoue dans l’immédiat, accroît le pouvoir d’agir et fait reculer le sentiment d’indignité et de fatalité.