
Ce matin, je repensais à la question du non-recours aux droits sociaux. Ce n’est quand même pas rien, tous ces gens dans l’embarras qui mettent tant de mauvaise volonté à réclamer le secours qui leur est si généreusement octroyé par notre solidarité nationale ! C’est même un problème qui préoccupe notre État providence pourtant si prompt en ces temps difficiles à serrer les cordons de la bourse, au point qu’il a enquêté pour tenter de comprendre ce qui coince.
(...) Il résulte de la conditionnalité des droits sociaux que les relations entre les demandeurs et les organismes chargés de les « aider » sont caractérisées par le régime de la défiance unilatérale. L’organisme se voit investi de pouvoirs exorbitants et coercitifs sur la vie des gens qui font appel à lui, y compris en dérogation complète des règles de droit commun. Les organismes de gestions des droits sociaux sont la fois juges et partie, ils décident des règles qui sont en perpétuelle évolution — généralement dans le sens d’un durcissement des accès aux droits —, ils décident des enquêtes qu’ils mènent eux-mêmes et appliquent les sanctions. Les voies de recours sont pratiquement inexistantes — « soumets-toi ou je garde le pognon » — et très complexes d’accès, car nécessitant de la part du requérant des connaissances en droit administratif ou les moyens de les faire valoir. Les bénéficiaires sont, de fait, traités comme des citoyens de seconde zone et n’ont donc pas le droit au secret bancaire, médical, juridique, ni même à la vie privée, puisque que celle-ci doit être en permanence ouverte à l’examen de la puissance publique afin de vérifier la conformité du style de vie aux critères intrusifs décrétés par l’organisme aidant. (...)
L’exemple le plus frappant est celui de l’exhortation à devoir « mériter » l’aide sociale, principalement en travaillant, sous-entendu que l’on doit être reconnaissant et que l’on est redevable de l’aide, qu’elle n’est donc pas un droit, mais une charité que l’on doit mériter. (...)
le non-recours au droit peut se concevoir comme l’affirmation de la connaissance de l’insincérité de l’aide sociale par ses bénéficiaires en ce qu’elle vise à contrôler et maintenir dans la précarité (voire criminaliser les victimes de la guerre économique), mais en aucun cas à soutenir et à donner les moyens d’accéder de nouveau à une existence sociale et économique décente. (...)
La complexité délibérée crée la fraude et donc criminalise les bénéficiaires. Ce qui verrouille leur domination par une société qui œuvre essentiellement à les contrôler et les instrumentaliser. (...)