
Cynthia, locataire de Paris Habitat en fauteuil roulant, est privée d’ascenseur depuis près de quatre mois. Avec d’autres, elle dénonce le mépris des bailleurs sociaux pour les personnes à mobilité réduite.
« Va-t-il vraiment falloir que je rampe dans les escaliers ou que je passe par la fenêtre pour être libre de sortir de chez moi ? » Le 3 mai dernier, Cynthia alertait sur Twitter à propos de sa situation, et de celle de l’ensemble des personnes à mobilité réduite logées par Paris Habitat. Quelques semaines plus tôt, d’importants travaux de remplacement des ascenseurs ont débuté dans son immeuble, situé dans le XVe arrondissement de la capitale. Mais leur durée, prévue pour se terminer fin juillet, est intenable pour Cynthia.
Née handicapée avec une malformation, elle se déplace en fauteuil roulant et habite au 5e étage avec sa sœur, sa proche aidante. En attendant, le bailleur social propose un service de « portage », c’est-à-dire l’intervention de prestataires qui portent les personnes à mobilité réduite (PMR) dans les escaliers.
Une pratique qu’elle juge « dangereuse et non sécurisée », et par ailleurs très contraignante, car nécessitant de réserver un créneau 48 heures à l’avance. Impossible pour cette prestataire formatrice de français. « Je n’ai pas un emploi du temps fixe, je peux être appelée du jour au lendemain, explique-t-elle. À cause de ça, il y a beaucoup d’offres d’emploi auxquelles je n’ai pas pu répondre. » (...)
Malgré ses alertes depuis le début des travaux, le 11 avril, Paris Habitat aurait refusé de la reloger. Et ce que craignait Cynthia est arrivé : le 6 mai, elle raconte avoir eu un accident dans les escaliers.
« Les porteurs m’ont fait tomber entre deux étages. J’ai été aux urgences toute la nuit et mise en arrêt de travail pendant un mois », relate-t-elle. La locataire pointe le manque de formation des porteurs de cette entreprise, nommée Bulle Services. « À la base, c’est une société qui fait du ménage et enlève les déchets, ça en dit long sur la manière de nous considérer », met-elle en avant.
Ce n’est que le 29 mai qu’elle obtient finalement d’être relogée dans un hôtel par Paris Habitat, où elle nous reçoit, en attendant la fin des travaux. Elle doit continuer de se rendre chez elle une fois par semaine pour son rendez-vous de kinésithérapie à domicile. « J’ai eu la chance de ne rien m’être cassé. Mais ce qui fait mal, c’est d’avoir prévenu et de n’avoir pas été respectée. Parce qu’on est handicapé, il est perçu comme normal que notre vie s’arrête pendant quatre mois. C’est restrictif et discriminant. On m’a objetisée et empêchée de travailler », dénonce-t-elle, comparant cette situation à « un confinement prolongé et imposition d’un couvre-feu ». (...)
Ces dysfonctionnements sont d’autant plus incompréhensibles quand ils concernent des logements censés être conçus pour accueillir des personnes handicapées, pointe Otto, jeune homme de 33 ans en fauteuil roulant et vice-président de l’Association nationale pour la prise en compte du handicap dans les politiques publiques et privées (APHPP). (...)
« Il m’est arrivé, et à d’autres, d’être retenu en otage pendant deux semaines dans mon appartement ou d’être laissé à la rue. J’ai déjà attendu plus de cinq heures dehors pour attendre qu’on vienne m’aider, sinon je suis obligé de dormir chez des amis, ou de demander qu’on vienne me porter mais c’est dangereux », décrit Otto.
Et d’ajouter : « C’est humiliant. Handicapés, on est mis de côté, exclus, alors qu’on paie notre loyer comme tout le monde. Il y a une injustice sociale absolue. » (...)
La loi du 11 février 2005 rend par ailleurs obligatoire l’accessibilité au logement des personnes handicapées, au moment de la construction ou de l’aménagement. Même si la loi Elan du 23 novembre 2018 a assoupli ces règles, avec la création de logements « évolutifs », « les bailleurs sociaux sont des promoteurs comme les autres, donc ils doivent respecter les normes », pointe la juriste. Et ce d’autant plus qu’ils sont « encouragés et aidés financièrement par les pouvoirs publics à faire des travaux d’accessibilité dans leur parc existant ».
Marie Ribeiro ajoute par ailleurs : « Il est normal que les bailleurs sociaux construisent des logements accessibles pour les personnes à mobilité réduite car elles font partie des personnes avec les revenus les plus faibles. » « Ultra-prioritaires » (...)
« Il y a un gros problème avec les bailleurs sociaux, car c’est leur vocation de loger les personnes en difficulté, donc PMR ou en situation de handicap », dénonce Romain, qui habite au 7e étage d’un immeuble de Poste Habitat. En fauteuil roulant, il dénonce également l’inaccessibilité de son logement : « Pour accéder à l’immeuble, puis à l’ascenseur, il y a deux escaliers. Sans compter les nombreuses pannes d’ascenseur, pendant lesquelles rien n’a été mis en place. Il m’est arrivé de ne pas pouvoir sortir de chez moi pendant quinze jours. »
Il multiplie les alertes, notamment auprès du défenseur des droits, en vue des travaux à venir dans sa résidence, durant lesquels l’ascenseur sera immobilisé plusieurs semaines. « Je m’attends à être pris en otage chez moi pendant dix semaines », redoute-t-il.
Cynthia, elle, espère pouvoir regagner son appartement à l’issue des travaux. Avec ses avocats, elle a engagé deux procédures, l’une contre l’entreprise de portage, et l’autre contre son bailleur social, pour non-respect de la loi.