
À l’approche de la COP21, une proposition centrale des économistes libéraux consiste à mettre en place un prix mondial unique du carbone fixé par le marché. Mauvaise réponse à une vraie question.
« Buvons buvons buvons le sirop typhon typhon typhon
L’universelle panacée
À la cuillère ou bien dans un verre
Rien ne pourra nous résister »
Richard Anthony (juin 1968)
Donner un prix au carbone…
« Pour que les marchés, les entreprises et les consommateurs soient incités à agir en faveur d’une économie bas carbone, il faut intégrer dans les prix des biens et services le coût de l’externalité négative [1] qu’est le changement climatique. Cela passe par le fait de donner un prix au carbone. Ce qui peut se traduire concrètement par un marché, une taxe, une contribution, une norme d’émissions ou l’utilisation d’une valeur tutélaire du carbone... », exposent Patrick Canfin et Alain Grandjean dans leur rapport pour le président de la République, "Mobiliser les financements pour le climat". « Le fait de donner un prix au carbone, ajoutent-ils, fait largement consensus dans la littérature académique et bénéficie du soutien de nombreuses institutions, les Nations Unies, la Banque mondiale, le FMI. De plus en plus d’entreprises y sont favorables, comme le montre la déclaration du Business and Climate Summit signée par six millions d’entreprises ou, encore très récemment, la demande des grands majors pétroliers pour instaurer un prix du carbone ».
Et là, on se dit : « trop, c’est trop ». Fixer un prix du carbone est-ce vraiment la panacée universelle, le sirop typhon de la lutte contre le réchauffement climatique ? Y-a-t-il vraiment consensus la dessus ? Et toutes les méthodes institutionnelles se valent-t-elles, entre le marché, la taxation, les normes ou la fixation d’une valeur économique et sociale au carbone permettant d’établir une sélectivité bas-carbone des crédits et de la création monétaire ? Voyons de plus près.
... en privilégiant l’outil du marché
En fait, l’idée centrale est la mise en place progressive d’un prix du carbone unique et suffisamment élevé sur le long terme, en privilégiant le marché. La Banque mondiale a lancé un appel en ce sens en juin 2014. Notre prix Nobel, Jean Tirole a relancé l’affaire en juin 2015 avec Christian Gollier, relayés par ses collègues Christian de Perthuis et Pierre-André Jouvet. Des économistes orthodoxes de renom ont également pétitionné en ce sens. (...)
On donne les bonnes incitations et la rationalité de l’homo œconomicus et la libre concurrence font le reste, y compris les innovations adéquates. Quant à savoir pourquoi il faut un prix unique, c’est aussi simple que le reste : c’est pour éviter que certains bénéficient des efforts des autres sans en faire eux-mêmes, au risque que les réductions globales de carbone soient insuffisantes. (...)
Reprenons dans l’ordre et osons la critique.
« Ce système peut devenir un expédient »
• Un prix mondial unique du carbone n’est pas plus réaliste politiquement par le marché que par la taxe. Comme l’a expliqué l’économiste Dominique Finon, « Le fondement de toute architecture climatique qui en appelle à un prix du carbone révélé par le marché demeure un système d’engagements contraignants. Or, il n’y a plus un seul pays qui imagine adopter à Paris une position de négociation aussi irréaliste ».
• Les expériences de marché carbone et notamment celle de l’Union européenne n’ont pas apporté la preuve de la faisabilité du système (...)
on reste dans une impasse, vertement dénoncée par le pape François [2] : « La stratégie d’achat et de vente de "crédits de carbone" peut donner lieu à une nouvelle forme de spéculation, et cela ne servirait pas à réduire l’émission globale de gaz polluants. Ce système semble être une solution rapide et facile, sous l’apparence d’un certain engagement pour l’environnement, mais qui n’implique, en aucune manière, de changement radical à la hauteur des circonstances. Au contraire, il peut devenir un expédient qui permet de soutenir la surconsommation de certains pays et secteurs ».
• Des expériences de taxe carbone ont au contraire montré leur potentiel. L’exemple le plus connu est celui de la Suède. (...)
• Un prix mondial unique du carbone ne répond pas aux exigences de justice mondiale pourtant indispensable pour légitimer un système d’actions internationales communes. Un prix mondial unique du carbone devrait être calé sur l’émission moyenne de gaz à effet de serre par habitant de la planète. « La condition pour qu’un prix mondial maximise le bien être mondial est l’effacement complet des inégalités économiques de développement », souligne l’économiste Olivier Godard. (...)
• Le prix du carbone ne peut être le seul moyen de réorienter les systèmes de production et de consommation. « Quel prix serait incitatif et praticable à la fois par l’aérien, la chimie, l’agriculture, les ménages, a fortiori à l’échelle du globe ?, interroge Dominique Dron, ancienne Commissaire générale au développement durable. Utiliser des prix de marché comme outil est encore plus douteux pour les écosystèmes, sources de régulations vitales pour nous. (...)
« L’imminence de la finitude est une véritable révolution mentale : des prix ne pourront pas déclencher la réorientation des économies et sociétés vers le ménagement de la terre, ils pourront dans certains cas l’accompagner ou la renforcer. Un univers cohérent de signaux et de moyens convergents, de différentes natures, doit être instauré. Il y a besoin de prix, certes, mais sûrement pas pour tout, et quand des tarifications sont décidées, c’est que d’autres éléments ont auparavant progressé au sein des sociétés, et les ont rendus possibles. (…) Le sens de l’histoire demande un suivi physique, non monétaire, des impacts des activités humaines et les outils de comptabilité, de spécification et de régulation correspondants ».
Laisser les fossiles dans le sol
Prenons l’enjeu crucial de la production de l’énergie. Il est bien exposé par Maxime Combes dans le livre manifeste Sortons de l’âge des fossiles ! qu’il vient de publier (Collection Antropocène Seuil). (...)
Signal valeur
Faut-il alors renoncer à la mise en place de "signaux prix" et de mécanismes de monétarisation dans la lutte contre le réchauffement climatique ? Certainement pas, mais en visant une cohérence nouvelle.
Une initiative a ainsi été prise par 200 experts dont 72 auteurs du groupe III du GIEC). À l’approche de la COP 21, ils demandent que l’accord contienne une reconnaissance de la valeur économique et sociale des actions de réduction du CO2 qui puisse servir de base à une nouvelle sélectivité des financements. Et certains des signataires (comme Gaël Giraud ou Michel Aglietta) considèrent que les banques centrales et notamment la BCE devraient en être directement partie prenante au travers de la politique de création monétaire.