
Le secteur touristique mondial vole de record en record. Mais, derrière les injonctions à « faire » tel ou tel pays pour être moderne, le tourisme épuise le monde « impitoyablement », comme l’explique Rodolphe Christin dans son « Manuel de l’antitourisme ».
L’auteur est sans illusion. Même réédité après un premier tirage honorable, son essai, Manuel de l’antitourisme, « n’a pas encore infléchi le mouvement du monde » pas plus qu’il n’est entré « au panthéon de la pensée critique. Il faut s’y faire, il n’aura pas le destin des Manifeste du Parti communiste et autre Discours de la servitude volontaire », écrit-il avec une pointe d’ironie.
Le débat qu’il rouvre ne manque pourtant pas d’intérêt. Il concerne le tourisme, son poids économique, l’empreinte qu’il exerce sur l’environnement et les sociétés, son devenir entre tourisme de masse et tourisme durable… (...)
En un demi-siècle, le développement du tourisme a été spectaculaire. Il « pèse » plus que tout autre activé humaine, touche près de deux milliards de personnes et procure du travail à des centaines de millions d’autres. Son marché ne cesse de s’élargir.(...)
Côté face, une autre réalité émerge, que Rodolphe Christin s’emploie à étaler sous nos yeux avec la précision et le sérieux d’un huissier de justice. Elle est autrement plus sombre. Le tourisme, écrit-il, est un « parasite mondophage », et le touriste un être paradoxal, qui « déclare son amour à cette planète qu’il visite dans ses moindres recoins et, ce faisant, qu’il contribue à épuiser impitoyablement ».
Ce n’est pas qu’une question de CO2 et de gaz à effet de serre, insiste l’auteur — touriste un peu honteux de l’être encore à l’occasion. Le tourisme, écrit-il, est par essence destructeur, et le touriste un insatisfait perpétuel qui « surfe, zappe, naviguant au gré de ses envies géographiques […] mu par le désir vague de renouveler ses sensations grâce au mouvement dans l’espace à condition que [la nouveauté] soit inoffensive ».
Participer à la mise à mort d’un fragment de civilisation
L’affaire est entendue avec le tourisme de masse et la standardisation qu’il implique(...)
Les pages les plus stimulantes et les plus incisives de l’essai concernent le « tourisme durable, équitable » qui, à l’inverse du tourisme de masse, se veut respectueux des lieux et des hommes. Illusion, clame Christin. Aller admirer un monument chargé d’histoire, partir à la rencontre d’un peuple premier, se fondre dans une caravane de chameaux n’est pas moins critiquable qu’aller passer une semaine à Marrakech ou à Bali. C’est, dans tous les cas, participer à la mise à mort d’un fragment de civilisation ou, pire, se retrouver face à un fantôme.
On l’aura compris : Rodolphe Christin dresse un bilan négatif du tourisme tel que l’Occident l’a inventé au XIXe siècle. (...)
D’où son éloge, non pas du touriste mais de son contraire, le voyageur, et plus précisément du voyageur adepte de la lenteur et des moyens de transport doux, décidé à privilégier le chemin à la destination, à ne laisser aucune trace de son passage… Un voyageur philosophe en quelque sorte. (...)