
Partout en France, l’accueil des usagers des caisses d’allocations familiales (CAF) est aussi déplorable que les conditions de travail de ses agents. Politique du chiffre, réductions d’effectifs, impuissance face à l’augmentation de la pauvreté, les salariés se sentent dépossédés du sens même de leur travail. Le malaise et la souffrance se répandent, des deux côtés du guichet.
(...) Une file d’attente, des vigiles en guise de comité d’accueil. « Ça devient vraiment n’importe quoi », lâche une femme en arrivant ce 19 novembre devant la Caisse d’Allocations Familiales (CAF) du 13e arrondissement de Paris. Devant elle, une soixantaine de personnes piétinent sur le trottoir. Découragés d’avance, certains font demi-tour. (...)
Dans la queue, la tension est palpable. Ici, deux hommes s’accrochent pour une histoire de cigarettes, là, des bébés pleurent. Une femme perd l’équilibre, déstabilisée par un coup de poussette involontaire. Les gens soupirent, regardent l’heure. Il y a aussi une femme enceinte et des personnes âgées qui, vu l’ambiance, n’ont pas osé faire état de leur droit d’accès prioritaire. (...)
« C’est normal qu’on pète les plombs, soit vous êtes fermés, soit vous êtes débordés, plaide un homme, pour sa défense. On est tous en train de devenir fous. » (...)
Loin d’être exceptionnelle, cette situation n’est que la déclinaison locale d’un problème d’ampleur nationale. Sur tout le territoire, les fermetures des CAF au public sont devenus monnaie courante pour tenter de rattraper les retards. Dans les tiroirs des agents croupissent des documents parfois vieux de plusieurs mois. A Paris, près de 200 000 lettres, dossiers et documents seraient en attente de traitement selon une source syndicale. Les centres de gestion sont forcés de baisser régulièrement leur rideau. (...)
Pour « faire plus avec moins », le fonctionnement des CAF a dû s’inscrire dans une logique de productivité et de rentabilité. « Dans une optique de réduction des coûts, on n’entend plus parler que d’externalisation, de départementalisation, de mutualisation et de tout un tas de méthode qui nous permettrait soi-disant d’arriver à une "efficience des services". Mais sur le terrain, on ne voit que les dysfonctionnements », poursuit Isabelle Lerat. (...)
Contraints de mal travailler, dépossédés du sens social de leur mission, les personnels souffrent de ne plus se reconnaître dans les valeurs de l’organisme. (...)
Avec le retard dans le traitement des dossiers et la multiplication des erreurs, le mécontentement s’exprime de plus en plus souvent au guichet. « Les incivilités et les agressions se multiplient. La police est régulièrement appelée, des plaintes sont déposées. Dans les agences de Paris, les effectifs des agents de sécurité ont doublé, c’est un signe », note un cadre du département. « Le plus difficile à gérer, ce sont les appels d’allocataires en détresse, en très nette augmentation, estime le conseiller téléphonique de la CAF du Nord. Ce sont des situations bouleversantes, mais quand on n’a pas de solutions, il faut vite enchaîner avec la personne suivante ». (...)
« Parfois, quand je rentre le soir chez moi, je repense à ma journée, à la détresse des gens, à leur misère et je me surprends à ne plus rien ressentir. J’ai l’impression de devenir une machine », confie un employé de la CAF de Lille. « La souffrance est là, mais elle est très difficile à exprimer. Les agents encaissent en silence, parce qu’ils ont conscience qu’au bout, c’est l’allocataire qui risque d’être pénalisé », observe Isabelle Lerat. (...)
Le gouvernement semble n’avoir pas entendu les appels au secours. Les syndicats envisagent de durcir leur mouvement pour faire entendre la voix des salariés avant la signature de la prochaine COG, prévue d’ici mars 2013. (...)