
Toutes, ou presque, se déclarent très sensibles aux préoccupations environnementales. Ce qui n’empêche pas les banques françaises, Société Générale et BNP Paribas en tête, de soutenir financièrement les gaz de schiste, une industrie aux impacts néfastes pour les ressources en eau, les populations locales et le climat. C’est ce que révèle une étude réalisée par les Amis de la terre Europe, qui détaille les investissements et prêts dont bénéficient les compagnies pétrolières les plus actives dans ce secteur. Pourtant, d’autres grandes banques mondiales n’ont pas hésité à exclure les gaz de schiste de leurs investissements.
La France a pour l’instant fermé la porte au gaz de schiste sur son territoire. Mais ses entreprises nationales ne se privent pas d’en faire la promotion, en Europe et ailleurs, et d’y investir des ressources considérables. C’est le cas, bien sûr, pour les grands opérateurs gaziers, Total et GDF Suez, et pour les fournisseurs traditionnels du secteur des hydrocarbures (lire notre enquête à ce sujet). C’est aussi le cas des banques. Selon une étude réalisée pour l’association écologiste les Amis de la terre Europe, dont nous avons pu prendre connaissance en exclusivité, les banques françaises figurent en bonne place parmi les institutions financières les plus actives dans le financement du gaz de schiste dans le monde.
La Société Générale en pointe sur les gaz de schiste (...)
Elle a ainsi investi en prêts, achat d’actions, ou souscription d’obligations près de 2,4 milliards d’euros depuis 2010. Vient ensuite BNP Paribas, avec près de 2 milliards d’euros, puis le groupe BPCE (Banque Populaire Caisse d’épargne), avec plus d’1,2 milliard d’euros engagés et le Crédit agricole (373 millions d’euros). L’assureur Axa y est aussi présent pour plus de 100 millions d’euros. Les banques françaises sont principalement impliquées dans Total (participation au capital), auprès du groupe pétrolier espagnol Repsol ou du polonais PGNiG. A titre de comparaison, la plus grosse banque des États-Unis, JP Morgan, soutient financièrement ces entreprises à hauteur de 5,8 milliards d’euros, principalement Total, Shell et Chevron.
Au vu du caractère extrêmement controversé de cette industrie, on aurait pu s’attendre à un peu plus de prudence. (...)
Les Amis de la terre Europe ont donc écrit aux banques et compagnies d’assurances concernées pour les interpeller sur ces risques et leur demander de se désengager du secteur. Seule la Société générale n’a pas daigné leur répondre. De son côté, BNP Paribas affirme être « parfaitement conscient des risques et opportunités relatif [sic] à cette activité », ayant participé aux côtés d’autres institutions financières à l’élaboration d’un « guide pour les financiers », intitulé « Prospection et production de gaz de schiste : enjeux fondamentaux et pratiques commerciales responsables » [1]. Ce document liste certains des aspects les plus controversés du gaz de schiste et évoque de manière très générale les « meilleures pratiques » pour prévenir les risques. Mais BNP Paribas ne dit absolument rien de l’application concrète qu’elle fait de ce guide dans ses décisions de financement. Quant au fonds d’investissement Amundi, impliqué dans les gaz de schiste polonais, il précise être « particulièrement sensible aux questions environnementales et plus largement à l’ensemble des critères ESG (Environnemental, Sociétal, Gouvernance) ». Mais ses critères « d’analyse et de choix d’investissement » ne semblent pas suffisamment stricts pour exclure les sociétés impliquées dans les gaz de schiste.
Peut-on réellement faire confiance à l’industrie du gaz de schiste pour respecter les règles sociales et environnementales auxquelles elle est théoriquement tenue ? Et peut-on faire confiance aux banques pour qu’elles contrôlent effectivement l’application de ces règles, et orientent leurs investissements en conséquence ? Une étude réalisée par des groupes d’investisseurs éthiques américains, intitulée « Transparence et risques dans les opérations de fracturation hydraulique » [2] suggère que la réponse est négative.
Les grands groupes aussi irresponsables que les aventuriers texans (...)
d’autres banques parviennent, elles, à exclure purement et simplement les gaz de schiste du champ de leurs investissements. C’est le cas des deux principales institutions néerlandaises de banque et d’assurances, ING et Rabobank. Dans le cadre de sa nouvelle politique pour le pétrole et le gaz, Rabobank s’est engagée à « ne plus fournir d’argent qui serait utilisée pour extraire des combustibles fossiles non-conventionnels [gaz de schiste et sables bitumineux] ». ING, de son côté, a indiqué aux Amis de la terre qu’elle avait « décidé de s’abstenir de financer la production de gaz de schiste en Europe au moins jusqu’à fin 2016 », au vu des incertitudes sur « les impacts environnementaux et sociaux du gaz de schiste ». Si ING et Rabobank l’ont fait, pourquoi BNP Paribas en est-elle incapable ? (...)
Les banques devraient d’autant se méfier que le gaz de schiste est considéré comme une activité hautement spéculative. « L’objectif est surtout de gagner beaucoup d’argent à court terme. Le gaz de schiste est par nature une industrie spéculative, basée sur une succession rapide de « booms », et donc une fuite en avant permanente », analyse Antoine Simon. Hier les Etats-Unis, aujourd’hui l’Argentine, l’Ukraine ou la Roumanie (...)