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Quand les prisons, les détenus et la politique carcérale deviennent des produits d’investissements
Article mis en ligne le 26 février 2016
dernière modification le 22 février 2016

En France, plus d’un tiers des prisons sont en partie gérées par des grands groupes privés. Le mouvement de privatisation du système carcéral, entamé il y a trois décennies, prend toujours plus d’ampleur. De la gestion des repas à l’accueil des familles, de la construction des maisons d’arrêt au travail pénitentiaire, une poignée d’entreprises se sont saisies de ce nouveau marché lucratif. L’Etat débourse près de six milliards d’euros par an pour payer leurs services, sans que les bénéfices d’une gestion privée soit démontrée. Cette privatisation rampante pose une autre question : les entreprises privées ont tout intérêt à de que les prisons ne désemplissent pas.

Cela doit devenir la plus grande prison de Belgique. Près de 1 200 détenus dans un « village » pénitentiaire à proximité de Bruxelles, avec trois unités pour hommes, deux unités pour femmes, un établissement d’enfermement psychiatrique et un pour les jeunes. Surdimensionné, trop cher, construit sur des terres agricoles : le méga-projet suscite des oppositions. Cette nouvelle prison est aussi controversée parce qu’elle doit être bâtie et gérée en partenariat public-privé (PPP). Le marché a été confié à un consortium composé de deux entreprises de BTP et d’une banque d’investissement australienne (Macquarie). Un champ d’activité comme un autre pour cette banque qui investit dans les transports, les infrastructures d’eau, les hôpitaux… et les cellules.

Ce projet belge de privatisation d’une prison s’inscrit dans la droite ligne d’un mouvement entamé au début des années 1980. Parti des États-Unis, le modèle des prisons en gestion privée s’installe de plus en plus en Europe. En France, cette privatisation a débuté en 1987. Avec l’intention de reproduire à l’identique le modèle d’outre-Atlantique : une privatisation intégrale, de la construction jusqu’à la surveillance des détenus. Les parlementaires de l’époque en ont décidé autrement : seules les fonctions autres que celles de direction, de surveillance et de greffe peuvent être déléguées à des entreprises privées [1].

Privatisation du travail des détenus ou de l’accueil des familles

Même avec cette restriction, le nombre de prisons en gestion privée n’a cessé d’augmenter. (...)

« Pour dégager les ressources suffisantes pour le paiement des loyers de leurs contrats de partenariat, les personnes publiques sont souvent contraintes de redéployer des moyens, voire le plus souvent de réduire leurs dépenses de fonctionnement ou d’investissement consacrées à d’autres projets. L’exemple du budget de la direction de l’administration pénitentiaire est à cet égard particulièrement éclairant », s’inquiète en ce sens un rapport du Sénat, en 2014, sur les « bombes à retardement » que sont les PPP. (...)

Une poignée d’entreprises se partagent le marché

Le marché de l’emprisonnement se retrouve entre les mains d’une petite poignée d’entreprises. Au centre pénitentiaire du Havre, c’est Themis-FM, une filiale de Bouygues, qui est propriétaire des lieux et chargée de la maintenance. En 2011, l’État lui versait ainsi un million d’euros par mois [5]. À ce loyer s’ajoutent 350 000 euros par mois, versés à Gepsa, l’entreprise qui gère les services à la personne dans cet établissement. Créée avec la première loi de privatisation, Gepsa, filiale d’Engie (ex GDF-Suez), est aujourd’hui présente dans treize établissements.

De son côté, Sodexo a des contrats dans 34 prisons françaises. (...)

Sodexo prend même la peine de préciser, dans son rapport annuel, qu’elle « exerce ses activités en justice uniquement dans les pays démocratiques ne pratiquant pas la peine de mort et dont la politique carcérale a pour finalité la réinsertion [6]. » En 2013, une affaire a bousculé ces beaux discours : une détenue du Royaume-Uni, où la privatisation englobe les soins de santé, a attaqué l’entreprise française en justice pour l’avoir laissée sans aucuns soins après une fausse couche (Voir notre article « Dans une prison privatisée, une femme obligée de “nettoyer son propre sang” »).
Détenus et prisons : une « stratégie d’investissement »…

Sur les contrats de construction et maintenance, ce sont les grands groupes de BTP qui raflent les contrats. (...)

l’administration pénitentiaire n’a réalisé aucune évaluation comparative des coûts et de la qualité de la gestion depuis le début de la privatisation. Une absence d’évaluation que la Cour des comptes elle-même a regretté (...)

Seuls deux rapports de la Cour des comptes (2006 et 2011) et un rapport de l’Inspection générale des finances (2009) tirent des conclusions. « À chaque fois, elles n’étaient pas vraiment en faveur du privé, parce que cela coûte cher sans véritable valeur ajoutée », indique Marie Crétenot. Pourtant, ce système de délégations à des entreprises privées est maintenu.
Des pénalités en cas de non-respect du contrat

Les entreprises chargées de la gestion des prisons sont tout de même soumises à un système de pénalités si elles ne respectent pas les termes du contrat. (...)
Mais le contrôle est bien plus souvent quantitatif que qualitatif. L’administration cherche ainsi à savoir si les prestataires ont dispensé un nombre d’heures de formation, plus qu’à en évaluer l’utilité. Cependant, sur la formation professionnelle, gestion publique ne rime pas forcément avec respect des normes. (...)

En Allemagne, où des prisons en gestion privée partielle existent depuis les années 2000, les autorités sont déjà revenues sur ce choix pour l’un des quatre établissements pénitentiaires concernés. En 2011, la nouvelle majorité politique verte et social-démocrate, arrivée au pouvoir dans l’État-région de Bade-Wurtemberg, a décidé de mettre fin au contrat de délégation conclu quelques années plus tôt pour sa prison d’Offenburg. Et de reprendre l’établissement en gestion publique totale.

Le gouvernement français pourrait-il faire de même s’il le souhaitait ? « On peut renégocier la délégation, mais en payant des pénalités » (...)

Pendant ses quatre ans au ministère de la Justice, Christiane Taubira n’a pas remis en cause le mouvement en cours de privatisation pénitentiaire. Au grand bonheur des entreprises bénéficiaires.