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« Quelques coups de canifs ont été portés à nos droits », déplore Toubon
Article mis en ligne le 15 juin 2020
dernière modification le 14 juin 2020

 Chiraquien de la première heure ayant participé à la fondation du RPR, Jacques Toubon a été nommé Défenseur des droits par François Hollande en 2014.
- Il s’apprête à quitter ses fonctions après avoir passé six ans à la tête de cette institution indépendante chargée d’épauler les citoyens dans le maintien de leurs droits.
- Alors que le pays est secoué par des manifestations contre les violences policières, il a accepté de livrer son regard sur la société actuelle.

(...) Sous mon mandat, j’ai eu à connaître deux états d’urgence, l’un après les attentats terroristes de 2015 et aujourd’hui, celui lié à l’épidémie du Covid-19. Je me suis déjà exprimé récemment sur ma crainte de voir que des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire et qui se doivent d’être temporaires, soient inscrites de manière permanente dans la loi. C’est ce qui s’est produit en 2017 avec la loi sur la sécurité intérieure pour quatre mesures de l’état d’urgence antiterroriste. Et cela risque de se reproduire à nouveau, ce serait un accroc à l’état de droit.
Avez-vous le sentiment que nos libertés ont reculé depuis six ans ?

A travers les deux états d’urgence mais aussi à travers la loi Renseignement de 2016 ou les deux lois sur l’Immigration en 2016 et 2018, j’ai le sentiment que nous avons porté quelques coups de canif à nos droits fondamentaux.

Les Français me paraissent accepter avec une certaine désinvolture ce recul des libertés. J’ai l’impression que dans l’esprit public, ces droits n’ont plus la place prépondérante qui était la leur depuis la Seconde Guerre mondiale. Il y a là une sorte de phénomène de cycle. Un cycle historique, culturel et presque psychologique, je dirais.

C’est inquiétant ?

Non car je ne crois pas que les choses vont se poursuivre ainsi. Nous allons retrouver un nouveau cycle. Je pense en particulier que les jeunes générations seront très attentives à cet enjeu. On le voit très bien sur les réseaux sociaux. Les revendications qu’on y trouve sont porteuses d’un nouvel âge des droits fondamentaux. (...)

je ne sais pas s’il y a plus de mauvais comportements des forces de sécurité aujourd’hui mais il y a une plus grande sensibilité des Français à ce sujet. Nous recevons de nombreuses réclamations parce que des personnes se voient refuser de déposer plainte dans un commissariat ou une gendarmerie ou parce qu’elles estiment qu’elles y sont mal reçues.

Je vois cette sensibilité de façon très positive. (...)

La population et les forces de sécurité doivent tenir leur engagement respectif. Il faut que personne n’ait peur de la police. (...)

nous avons réalisé une enquête sur 5.000 personnes en 2016. En est ressorti le fait qu’il y avait 20 fois plus de probabilités d’être contrôlé par la police lorsqu’on est un homme, jeune de moins de 25 ans, noir ou d’origine maghrébine. Ça, c’est irréfragable. Et d’ailleurs, personne ne dit le contraire. Cela est un élément objectif.

Et puis, nous avons nos réclamations. Dans 90 % des cas, je conclus à l’absence de manquement de la part des forces de sécurité. Mais pour un certain nombre, oui, il y a des traitements discriminatoires. Mais, franchement, nous ne recevons pas des milliers de cas inquiétants. Le plus fréquent, c’est tout de même la banalité du quotidien, c’est la personne mal reçue au commissariat… (...)

Mon plus grand regret, c’est que nos recommandations, nos demandes de sanctions disciplinaires ne sont pas assez suivies d’effet en droit, elles n’ont pas l’autorité de la force jugée comme celles d’un juge. [Sur 3.987 réclamations, Jacques Toubon a demandé d’engager des poursuites contre des forces de l’ordre à 36 reprises. Mais il n’a jamais été entendu].
Et votre plus grande fierté ?

Je pense immédiatement à un sujet très lourd sur le plan social, c’est l’égal accès aux cantines scolaires. Pour beaucoup d’écoliers – des millions peut-être – le repas pris à la cantine est le seul repas équilibré et complet de la journée. On a donc fait inscrire dans la loi en 2017 l’égal accès au service public de la cantine lorsque le service public est créé.

Auparavant, certains interdisaient les cantines aux enfants de chômeurs en expliquant que leur papa ou leur maman pouvaient s’occuper d’eux. Mais c’est aberrant ! Heureusement, on a décidé le contraire. J’ai d’ailleurs trouvé que la pandémie de coronavirus avait rendu lumineuse l’idée que tous les enfants doivent aller instinctivement à la cantine. (...)