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Questions sur le Mali à Bérangère Rouppert, chercheur au GRIP
Article mis en ligne le 19 janvier 2013

Auteur d’une récente note d’analyse « L’étonnant consensus autour de l’intervention française au Mali, B. Rouppert du Think Tank belge le GRIP (pour Groupe de Recherche et d’Information sur la Paix et la Sécurité) porte un nouveau regard sur cette guerre, bien différent de celui que l’on peut trouver dans la presse française..

Question : L’intervention militaire de la France entre-t-elle dans un cadre onusien ?

Berangère Rouppert : La résolution 2085 du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) ne semble pas ici prise comme base légale de l’intervention qui demande que tout soutien au Mali se fasse dans le cadre de la MISMA (Mission internationale de soutien au Mali sous commandement africain). La plupart des commentateurs justifient l’intervention par le risque de sanctuarisation qui se profilait ainsi que sur le risque de voir Bamako tomber en quelques jours.

Paris a en effet justifié son action sur la base de l’article 51 de la Charte de l’ONU qui souligne le « droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations Unies est l’objet d’une agression armée ». La question est là : qu’est ce qui prévaut ? La Charte des Nations unies ou le long processus de négociations multilatérales qui dure depuis un an et qui a abouti à ce consensus de la résolution 2085 ? (...)

L’arrivée précipitée des contingents ouest-africains et du général nigérian commandant la MISMA pourrait être interprétée comme la construction d’une légitimation a posteriori, faisant de la France une composante à part entière de l’intervention sous commandement africain.

L’on justifie également cette intervention par la demande officielle d’aide du président malien par intérim au président français. Mais le président Traoré est assis sur une légitimité toute relative puisqu’elle émane d’un accord-cadre dont la constitutionnalité pose question car signé entre une organisation régionale et une junte arrivée au pouvoir par un coup d’état, et dont la valeur juridique est inconnue. (...)

Question : Quel avenir pour cette intervention française au Mali ?

Berangère Rouppert : C’est tout le problème : où va-t-on ? Quelle est la stratégie de court terme, de moyen terme, de long terme et les possibilités de respecter les objectifs fixés ? Car l’objectif c’est de passer rapidement le relais à la CEDEAO. Mais quelle est la capacité actuelle des forces ouest-africaines à prendre le relais ? La question se pose en effet puisque le déploiement de la MISMA n’était prévu que pour septembre 2013 en raison des préparatifs nécessaires au bon déroulement de la mission : la préparation des contingents qui devaient partir, leur équipement, leur financement, des questions de logistiques. Là, leur arrivée est précipitée même si elle va prendre une, deux ou trois semaines et donc il est légitime de ce fait de s’interroger sur la capacité des forces ouest-africaines à soutenir l’effort de guerre intensif nécessaire en lieu et place des forces françaises. Il en va de même pour l’armée malienne que l’on nous disait indisciplinée, corrompue, mal équipée, insuffisamment formée et qui devait bénéficier d’une formation par l’Union européenne (...)

Étant donnés ces doutes, l’on peut penser que les Français seront présents pour un long moment au Mali en première ligne jusqu’à ce que les forces africaines soient opérationnelles puis comme une composante importante de cette mission internationale sous commandement africain.

Par ailleurs, se pose la question de la sortie de crise. En effet, chasser les islamistes de Gao, Kidal et Tombouctou à grands renforts de bombardements aériens peut en effet ne prendre que “quelques semaines” ; en revanche, s’assurer que les combattants ne reviennent pas, s’inscrit dans la longue durée. Dans ces conditions, le risque d’enlisement, sur fond de guerre asymétrique, se profile à l’horizon. (...)

L’on ne peut écarter le risque que l’intervention française dans une ancienne colonie, bien qu’avalisée par de nombreux acteurs et demandée par le président malien par intérim, ne serve la cause des groupes islamistes et n’entraîne une mobilisation de nouvelles recrues séduites par les thèmes de la lutte contre l’ancienne puissance coloniale et, plus largement, de la lutte contre l’Occident.

Question : Comment expliquez-vous l’absence de soutien européen et américain à cette intervention militaire française ?

Berangère Rouppert : Les partenaires de la France ont répondu présents, par un soutien politique tout d’abord et par un soutien en termes logistiques, transport de troupes, évacuation médicale, ainsi que l’a demandé le gouvernement français. L’action de la France a été précipitée et a anticipé l’action internationale. La stratégie reste floue, la stratégie de sortie crise, si elle existe, n’est pas rendue publique. La prudence vient peut-être du fait que les Américains ont expérimenté en Afghanistan les limites de l’intervention militaire pour résoudre le problème des groupes islamistes. (...)

Je ne suis pas sûre que l’intervention militaire puisse résoudre le problème des groupes islamistes et plus largement les problèmes du Mali qui sont d’ordre socio-économiques. C’est en s’attaquant aux problématiques socio-économiques que l’on obtiendra des résultats durables à même de diminuer l’influence des groupes islamistes et de combattre la diffusion de l’idéologie islamistes ou à tout le moins sa capacité d’attraction en ce qu’elle est à même de répondre mieux que l’État aux attentes des citoyens.

Question : La France intervient-elle pour soutenir un allié ou pensez-vous que d’autres raisons peuvent expliquer cette action ?

Berangère Rouppert : Les flous sont encore nombreux. Peut-être que le temps aidera à les dissiper. (...)

Pour ce qui concerne les intérêts économiques, ils ne sont pas si importants que cela : la France n’est pas un gros investisseur dans le pays ni un gros fournisseur ; le Mali n’est pas un client important non plus. Il n’est pas sûr donc qu’il faille chercher de ce côté-ci.

Je pense qu’il faut considérer la situation sous un angle régional. La France a dans la région des partenaires économiques importants, au premier rang desquels se trouve l’Algérie ou encore la Côte d’Ivoire : la stabilité de la région lui importe beaucoup donc. A cela s’ajoute la dimension énergétique : en effet, qu’il s’agisse de la Mauritanie ou du Niger, de nombreuses firmes françaises, Total et Areva entre autres, exploitent le sous-sol de ces deux pays. Un glissement du conflit vers le nord-Niger pourrait être très préjudiciable à la France : l’approvisionnement en uranium via la firme Areva pourrait être perturbé, ce qui serait à même de perturber le fonctionnement de l’énergie nucléaire civile en France. (...)