
La recherche et l’information sur l’injustice sociale ont beaucoup progressé, mais la réduction des inégalités piétine. Pour agir efficacement, il faut d’agréger de nouveaux savoirs. Une analyse de Patrick Savidan, professeur de philosophie à l’université de Poitiers et cofondateur de l’Observatoire des inégalités. Extrait du hors-série d’Alternatives Économiques "Les inégalités en France".
c’est bien aussi dans cette optique qu’a été créé l’Observatoire des inégalités, il y a de cela maintenant dix ans. Nous jugions alors que la question des inégalités n’était pas suffisamment prise au sérieux. On en parlait, certes, mais de manière incomplète, cryptée parfois, quand ce n’était au travers de prismes idéologiques qui, soucieux de déterminer la teneur et de fixer la valeur des inégalités, laissaient trop souvent échapper la rigueur du fait. Non pas que la recherche alors fut indifférente, mais ses résultats restaient le pré carré des gens bien informés. Pour le reste, le compte n’y était pas. (...)
Dans les années 1990, on ne se souciait guère de réduire les inégalités. La lorgnette était autre, réglée sur la justification des différences. Les plus audacieux jetaient même leur dévolu sur cette belle idée d’équité, qui, dans un contexte social et politique aux prises avec des néolibéralismes aussi offensifs qu’aveuglés [1], n’en demandait pas tant. (...)
Mais, à l’échelle du pays, que savait-on réellement des inégalités ? Quelle idée se faisait-on communément de la pauvreté ? Savait-on vraiment quelle était la situation des femmes sur le marché du travail ? Avions-nous une idée à peu près juste de ce que signifiait le fait d’appartenir aux "classes moyennes" ? Savions-nous quels étaient les effets de la mondialisation, de la libéralisation des marchés de capitaux, de l’évolution des revenus du patrimoine ? A quelques exceptions près, ces questions étaient négligées au bénéfice d’une préoccupation plus spécifique sur les exclus, et plus tard sur les victimes de discriminations. (...)
Après la primauté de la lutte contre l’exclusion, après les discussions sur les moyens de mettre fin à toutes les formes de discriminations, c’est la grande richesse qui, dans le débat public, s’impose désormais comme cet abîme d’iniquité qu’il convient de combler. Importante, cette dernière question ne recouvre pourtant qu’une dimension du problème contemporain de l’injustice sociale. Il reste encore et toujours à trouver les moyens de constituer en objet de réflexion et d’action publique ce problème pris dans sa globalité.
On peut tabler sans doute sur les progrès de la connaissance statistique et autre. De fait, un immense travail d’analyse et de réflexion reste à mener. Mais tant sur le plan de la recherche que sur celui de la valorisation de la recherche et de l’information généraliste, nous avons en France rattrapé une part significative de notre retard par rapport aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. Même si tout le monde ne dispose pas de l’information la plus précise et qu’il arrive encore que des aberrations circulent. (...)