
Une refonte totale. La réforme des retraites du gouvernement prévoit de bouleverser les règles de la réversion, qui permet aux veufs de toucher une partie de la pension de leur conjoint décédé. Les règles de calcul seront ainsi remaniées pour les assurés nés après 1975 : le montant versé garantira au conjoint survivant un revenu égal à 70% des retraites totales du couple. De quoi mieux préserver son niveau de vie et répondre à "un objectif de solidarité", selon le gouvernement. Mais dans les faits, cette nouvelle formule sera moins favorable pour de nombreux retraités modestes, et profitera à l’inverse aux ménages aisés. L’exécutif prévoit aussi de durcir les conditions d’accès à la réversion, qui sera notamment coupée en cas de remariage du conjoint survivant.
La pension de réversion représente un enjeu majeur pour de nombreux retraités.
Ce bonus répond à un double objectif : "[permettre] aux veuves de conserver un niveau de vie satisfaisant" et "[compenser], en partie, les différences de niveau de retraite entre les femmes et les hommes", expliquait dans un article publié en février 2019 Henri Sterdyniak, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). La réversion doit ainsi éviter que les revenus de la conjointe survivante chutent trop brutalement après la mort de son époux. Ce filet de sécurité est d’autant plus nécessaire que la retraite des femmes est très souvent inférieure à celle de leur mari, leur carrière étant plus affectée par le mariage (à travers un temps partiel pour s’occuper des enfants par exemple). (...)
Dans le détail, "la veuve d’un salarié y gagne si sa pension était inférieure à 47% de celle de son mari", calcule l’économiste Henri Sterdyniak. Mais seule une petite minorité d’épouses seront dans cette situation. "A l’heure actuelle, environ 35% des veuves ont une pension inférieure à la moitié de celle de leur mari", estime Henri Sterdyniak. Et cette proportion promet de diminuer encore d’ici l’entrée en vigueur des nouvelles règles, les écarts de revenus étant plus faibles dans les couples nés après 1975.
Une deuxième catégorie sera gagnante : les retraités avec un niveau de vie au-dessus de la moyenne. La réversion est aujourd’hui soumise à un plafond de ressources dans le régime général de base, fixé à 1.760 euros par mois. Elle est ainsi réduite si les revenus du conjoint survivant dépassent ce montant. C’est le cas dans l’exemple d’un couple où l’épouse touche 1.230 euros de pension par mois, et son époux 2.000 euros. Après le décès de son conjoint, la veuve ne touchera que 845 euros par mois (contre 1.100 euros s’il n’y avait pas de plafond). Cette contrainte sera supprimée par la réforme : une retraitée dans la même situation touchera alors 1.030 euros de réversion par mois. Le gain est considérable, à 185 euros bruts par mois. (...)
La réforme de la réversion pénalisera donc de nombreux retraités modestes, en favorisant les plus aisés. Un effet pervers majeur, et pourtant invisible dans l’étude d’impact du gouvernement. Ce document envoyé aux députés montre même l’inverse : dans les cas-types présentés, les retraités modestes sont ceux qui profitent des nouvelles règles, alors que ceux ayant de meilleurs revenus sont perdants. Deux astuces expliquent ce camouflage. La pension du conjoint décédé est tout d’abord bien supérieure à la moyenne dans tous les exemples, à 2.000 euros par mois. Conséquence : quand la veuve a une pension faible, l’écart avec celle de son mari est assez important pour en faire une gagnante. Et quand sa pension est élevée ? C’est là qu’intervient la deuxième entourloupe : les montants présentés comme ceux du système actuel n’intègrent pas le plafond de ressources. De quoi largement surévaluer les pensions de réversion versées aujourd’hui, et maquiller le gain que représentera la réforme pour les veuves les plus aisées.
Le casse-tête des divorcés
En plus de modifier la formule de la pension de réversion, la réforme durcira ses conditions d’accès. Les veuves devront avoir été mariées pendant deux ans ou plus, ou avoir eu au moins un enfant avec leur conjoint décédé pour la toucher. Surtout, elles verront leur pension de réversion supprimée si elles se remarient après le décès de leur époux défunt. Autant de conditions qui n’existent pas aujourd’hui dans le régime général. Des contraintes similaires existent toutefois déjà pour les veuves de fonctionnaires, qui doivent avoir été mariées pendant quatre ans (ou avoir eu un enfant) et ne pas s’être remises en couples.
Alors que le gouvernement avait aussi envisagé de supprimer la réversion pour les conjoints divorcés, elle sera finalement maintenue. Cette question n’était pas tranchée dans le projet de loi, qui la renvoyait à une future ordonnance (...)