(...) il dirige l’ICIJ (Consortium international des journalistes d’investigation) avec laquelle il a coordonné Offshore Leaks. Ce dispositif international avait mis en lumière les pratiques douteuses des paradis fiscaux et de leurs utilisateurs.
Gérard Ryle nous explique dans cet entretien toutes les raisons qui l’ont conduit au journalisme d’investigation et comment, lui et son équipe, ont réussi à dévoiler les secrets les mieux gardés.
(...) G.R : L’ICIJ est une organisation à but non lucratif financée essentiellement par des fonds venant d’Europe. Nous recevons une bonne partie de nos financements de Hollande, d’une organisation appelée l’Adessium Foundation.
Ce que nous faisons, c’est rassembler des journalistes du monde entier pour les faire travailler sur des sujets internationaux. C’est un type d’organisation journalistique qui s’est beaucoup développé aux États-Unis depuis 20 ans environ, probablement à cause de la crise qui touche l’univers des médias. (...)
Une fois que nous tenons un thème, nous le soumettons aux journalistes membres du réseau pour voir lesquels aimeraient le creuser. Certains vont être intéressés, d’autres non. C’est à ce moment là que nous constituons une équipe internationale pour mener l’investigation sur le sujet en question.
Ce qui nous distingue des grands médias qui envoient des reporters à l’étranger pour couvrir un sujet, c’est que nous n’utilisons pas de correspondants étrangers dans les pays. Nos journalistes sont originaires des pays où ils travaillent. Tous nos reportages s’appuient sur ce réseau de journalistes locaux. Cela nous complique beaucoup la tâche car nos interlocuteurs parlent des langues diverses et ont des différences culturelles également. Mais nous pensons que ce système garantit de meilleurs résultats. Ce qui nous différencie aussi des autres, c’est que nous ne sommes pas des éditeurs de presse. (...)
Nous nous assurons que tous les journalistes sont informés en permanence, qu’ils communiquent entre eux. Pour ce faire, nous leur fournissons des outils de coordination en mettant en place des forums, des listes de diffusion. Nous facilitons le partage de fichiers. Nous leur parlons régulièrement : c’est très important d’échanger fréquemment avec les journalistes qui travaillent sur un sujet. Nous sommes en fait à l’épicentre de l’opération. Enfin, nous nous assurons que personne ne publie d’article avant que les autres ne soient prêts afin de montrer que c’est un effort mondial et une collaboration authentique. (...)
Nous traitons toutes sortes de sujets. Une des premières enquêtes coordonnée par l’ICIJ concernait le business de la guerre. Elle a permis de montrer qu’à l’échelle mondiale la guerre était en train d’être sous-traitée au profit d’entreprises privées. Nous faisons partie des toutes premières organisations à avoir enquêté sur ce sujet à l’échelle mondiale. Plus récemment, nous avons consacré plusieurs enquêtes à la surpêche dans le Pacifique notamment. Il s’agit vraiment d’un massacre de l’océan.
Juste avant Offshore Leaks, la dernière enquête que nous avons menée et la première que j’ai coordonnée en tant que directeur, concernait la transformation du corps humain en produit médical. C’est maintenant une industrie de plusieurs milliards de dollars basée essentiellement aux USA. Mais les corps, eux, proviennent d’Europe de l’Est. Après avoir transité par l’Allemagne, ils arrivent aux États-Unis où ils sont littéralement transformés en produits médicaux qui sont à leur tour utilisés dans le monde entier. C’est une histoire très internationale et très inhabituelle. Il n’y donc aucun sujet auquel nous ne pouvons nous confronter. (...)
Si les grandes puissances voulaient fermer les paradis fiscaux, ce serait effectif demain matin. La raison pour laquelle ils perdurent c’est qu’ils représentent des bénéfices financiers substantiels dans les pays occidentaux, aussi étrange que cela puisse paraître. L’argent ne disparaît pas dans les Caraïbes. L’argent reste en Suisse, en Grande Bretagne, aux États-Unis. C’est sur le papier qu’il est dans les paradis fiscaux.
Si vous regardez toutes les grandes affaires de corruption dans les dictatures, en Afrique, ailleurs, vous verrez qu’à chaque fois, l’argent est censé aller dans un paradis fiscal mais en réalité il atterrit aux États-Unis, au Royaume Uni ou en France. Certains parlent de colonialisme moderne. Tous ces paradis fiscaux sont d’ailleurs des anciennes colonies britanniques ; ou d’anciennes colonies françaises ou même américaines comme Panama. C’est un réseau qui remonte au début des années 1900. Et cela ne sort pas de ma tête, j’ai lu cela dans des ouvrages qui expliquent le système des paradis fiscaux. Mais cela fait sens. Tout le monde sait que si on le décide, on peut tout arrêter en moins de vingt quatre heures. (...)