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Libération
Rescapés de l’EI : une psy pour reconquérir les esprits
Article mis en ligne le 7 janvier 2018

Roula Michati, psychiatre, travaille avec une ONG dans des camps humanitaires, où elle tente de soigner les femmes victimes de l’Etat islamique… et surtout leurs enfants, intoxiqués par l’idéologie des jihadistes.

Elle n’aurait jamais imaginé se trouver un jour dans un camp de réfugiés, à consoler un adolescent accablé de n’être pas mort en martyr au combat. « Ce soir, j’aurais dû dîner au paradis avec le Prophète », se lamentait Khaled, 13 ans, évacué du champ de bataille pour une blessure à la jambe. (...)

« Il m’a fallu cacher ma stupéfaction quand le garçon s’est mis à me raconter ce qui l’attendait "là-haut" », confie la quadragénaire, toujours souriante, parfois ironiquement. « Il m’a parlé de mets et de fruits savoureux, de créatures superbes et d’hommes héroïques choisis par Dieu pour être auprès de lui. Ces promesses du paradis sont à la base du lavage de cerveau des tout jeunes recrutés par les groupes jihadistes et retirés à leurs familles », indique la spécialiste.

Première femme à devenir directrice générale d’un hôpital public syrien en 2004, Roula Michati a quitté fin 2012 son pays ravagé par la guerre civile. Elle a alors exercé auprès des réfugiés sur les routes de l’exode syrien, au Liban, en Grèce ou en Irak. Confrontée aux radicalisés, aux traumatisés, elle travaille aujourd’hui au sein de l’ONG Waha (Women and Health Alliance International, dont le siège se trouve à Paris), à la mise en place de deux centres à Dohouk, dans le nord de l’Irak, pour accueillir les femmes et les enfants déplacés des zones longtemps contrôlées par l’Etat islamique (EI). Experte notamment des violences sexistes, elle supervise en priorité la formation des équipes locales pour venir en aide aux femmes victimes et, forcément, à leurs enfants. C’est en s’occupant de la mère de Khaled, qui souffrait de stress post-traumatique, que Roula Michati a rencontré le jeune radicalisé. (...)

il n’a pas montré d’enthousiasme en revoyant sa mère. « Il considérait les gens dans le camp comme des renégats parce qu’ils avaient abandonné le terrain du jihad », raconte la neuropsychiatre. Il voulait même entraîner son frère de 10 ans avec lui en retournant au combat. « C’est un cas typique d’embrigadement d’un enfant de milieu modeste, dont la situation économique de la famille s’est dégradée à cause de la guerre, souligne Roula Michati. A l’attrait des armes, qui fascinent les garçons à cet âge, s’ajoute une offre abondante de bonne chère et de friandises pour séduire des enfants privés de tout. » (...)

« L’important est de pouvoir développer un programme d’intervention durable », insiste Roula Michati. Une nécessité, en particulier pour les jeunes radicalisés : « Il faut entamer un long travail de sensibilisation, loin de l’environnement habituel et surtout de toute influence jihadiste. » Car il s’agit de tenter de démonter tout un système de pensée et de discours installé et ancré dans les esprits. « Cela passe nécessairement par les références religieuses, pour corriger l’interprétation biaisée, extrémiste et littéraliste des salafistes jihadistes. Je me retrouve souvent à présenter aux adolescents radicalisés une explication plus rationnelle d’un verset coranique. » Un exercice que Roula Michati, chrétienne, a dû apprendre pour rendre son rôle le plus efficace possible. C’est ainsi qu’elle a tenté d’expliquer au jeune Khaled, qui pleurait de n’avoir pas rejoint le Prophète au paradis, que « son attitude était égoïste ». Pourquoi ? « Il ferait une immense peine à sa mère tout en l’abandonnant seule avec ses petits frères et sœurs. » Elle lui a donc dit que « le Prophète n’apprécierait vraiment pas son comportement ».