
Le business des Ehpad et des assurances-vie en France rapporte gros. Nous avons enquêté sur ces milliards d’euros qui s’envolent vers les paradis fiscaux. Les entreprises leaders dans ce marché de la vieillesse, organisées en poupées gigognes, finissent très souvent au Luxembourg, à Jersey ou vers d’autres paradis fiscaux, où les flux d’argent deviennent intraçables, sans que l’État, qui arrose copieusement les intérêts privés avec l’aide d’un fonds souverain émirati, ne trouve à y redire. Voyage en opacité organisée.(...)
La crise du Covid-19 a jeté une lumière crue sur les conditions de vie et d’hébergement des résidents des Ehpad, victimes d’une véritable hécatombe : 10457 personnes y sont décédées depuis le début de l’épidémie, d’après les chiffres du gouvernement - qui sont minimisés, selon de nombreuses sources proches des milieux soignants.
En France, ces 7436 établissements d’hébergement accueillent un peu plus de 605 000 personnes âgées dépendantes. Alors que les personnels soignants s’épuisent à la tâche, les intérêts privés continuent à s’attaquer à ce juteux business de la santé.
Nous avons découvert que le groupe DomusVI, troisième groupe d’Ehpad en France, a envoyé au moins 105 millions d’euros au Luxembourg entre mars 2017 et mars 2019.
Nous détaillons l’hyper-rentabilité du secteur des Ehpad et révélons que l’actionnaire majoritaire de DomusVi, le fonds britannique ICG, contrôle la chaîne d’Ehpad au travers d’une structure domiciliée à Jersey, un territoire réputé pour son opacité financière et sa fiscalité avantageuse. Ce montage ne semble pas inquiéter la Caisse des Dépôts et Consignations, le bras financier de l’État, qui a investi dans DomusVi avec le concours d’un fonds d’État émirati, le fonds Mubadala, qui a lui-même investi dans une société d’armement russe.
Pendant ce temps, des salariés de DomusVi voient leur droit à la participation aux bénéfices - obligatoire pour les entreprises de plus 50 salariés - nié par la direction du groupe.
Le fonds Mubadala et les fuites liées à ce dernier nous ont permis de déceler d’autres pratiques tout aussi troubles.
Nous avons tenté de reconstituer ces montages financiers dans leur ensemble, pour comprendre la destination des flux d’argent. (...)
L’opacité de ces structures offre à leurs promoteurs des enrichissements défiant l’entendement du citoyen ordinaire. Hors des communiqués de presse, il est très difficile d’obtenir des renseignements sur la manière précise par laquelle la CDC et le fonds émirati investissent dans DomusVi. (...)
Pourquoi l’État fait-il affaire avec un fonds souverain qui achète de l’armement français mais aussi de l’armement russe, via Russian Helicopters, et ce malgré l’embargo européen sur la Russie (2) ? Pourquoi les finances publiques s’associent-elles à Mubadala, qui a promis d’investir 15 milliards de dollars dans le plus gros fonds d’investissement (100 milliards de dollars) de nouvelles technologies au monde, le SoftBank Vision Fund, alors que celui-ci a perdu plus de 16 milliards d’euros depuis les débuts de la crise du Covid-19 ? Pourquoi l’État fait-il affaire avec l’émirat d’Abu Dhabi, régulièrement pointé du doigt pour sa fiscalité opaque, encore récemment considéré comme un paradis fiscal par la maigre liste noire de l’Union Européenne ?
Enfin, selon nos informations, le groupe DomusVi a mis en place un montage qui lui permet de ne pas payer la participation due à ses salariés.
Où est l’argent des salariés ?
Une opacité organisée
Où va l’argent public ? À cette question pourtant simple, d’intérêt général, la plupart de nos interlocuteurs nous ont opposé le silence.
Silence au sujet de l’absence de participation pour la majorité des salariés du groupe DomusVi, qui sont en première ligne et font tourner la boutique.
Silence au sujet des profits astronomiques des groupes d’Ehpad qui s’envolent vers des pays à la fiscalité plus qu’avantageuse, remontant vers le Luxembourg par le biais de remboursement de dettes à des taux prohibitifs.
Silence de l’État qui soutient, par son bras financier et l’argent de la sécurité sociale, ces groupes privés par le biais d’une alliance avec un fonds d’État émirati - ce qui engage la souveraineté économique française.
Silence, encore, du régulateur financier, sur les investissements des groupes d’assurance-vie dans ce même fonds d’État, qui a investi dans de l’armement russe et a placé des milliards dans un fonds de nouvelles technologiques qui a perdu récemment plus de 16 milliards d’euros.
Silence sur la gestion opaque de l’argent des assurances-vie dans les sociétés offshore, sans que l’on ne puisse vérifier la solidité des investissements, et ce alors que notre enquête n’a pris qu’un exemple parmi des centaines de cas similaires.
Silence général.