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Citoyens unis d’Europe
S’attaquer à la pauvreté ou s’attaquer aux pauvres ?
par scripta manent mardi 11 décembre 2012 -
Article mis en ligne le 15 décembre 2012
dernière modification le 12 décembre 2012

Avec le creusement des inégalités de revenus et de patrimoines, une fraction de plus en plus large de la population, confrontée à la fois à une baisse de ses revenus, à une hausse du prix des biens de première nécessité (logement, alimentation, énergie) et à une restriction de l’accès au crédit, n’est plus guère en situation de répondre aux pressantes invitations à consommer dont nous sommes tous l’objet. Comment tirer parti d’un marché à faible capacité financière mais très étendu ? Telle est l’équation qu’ont cherché à résoudre certains « créatifs » du marketing.

Après la ménagère de 50 ans, l’adolescent, le 3ème âge … et bien d’autres « cibles », le « pauvre » est ainsi en passe de constituer, lui aussi, une catégorie identifiée et courtisée d’homo consommicus.

Comme à toute catégorie il faut un acronyme, celle-ci a écopé d’une sorte d’onomatopée : « BoP », pour « Bottom of Pyramid » (« Bas de la Pyramide »), quelque chose comme la « France d’en bas », mais sur le mode anglo-saxon, ce qui ne saurait étonner puisque la recrudescence des inégalités fait cortège à la mondialisation ultralibérale.

Une note d’analyse du CAS (Centre d’analyse stratégique, service du Premier ministre), publiée le 27 novembre 2012, apporte des informations et un éclairage assez particulier sur ce phénomène social, initialement circonscrit au « tiers monde », mais qui s’invite désormais dans nos contrées.

(...) On y apprend que « certaines grandes entreprises développent des programmes originaux de lutte contre la pauvreté. Il s’agit de concilier des objectifs de rentabilité économique avec une finalité d’inclusion sociale en s’adressant aux personnes pauvres. Le “bas de la pyramide” (..) est ainsi vu comme un marché à conquérir, solvable et rentable dès lors que les entreprises adaptent leur production aux caractéristiques et demandes spécifiques des clients pauvres. À la différence des approches low cost, les démarches BoP entendent proposer les mêmes biens et le même niveau de services que dans le circuit classique. »

Cette introduction met d’emblée en relief les ambiguïtés du sujet. On nous parle de « lutte contre la pauvreté » alors que ce qui est exposé ensuite ne vise pas à améliorer le revenu des personnes concernées, mais plutôt à le capter « autrement ». (...)

S’attaquer aux pauvres (au marché des pauvres) en donnant à croire que l’on s’attaque à la pauvreté n’est pas une mince affaire. On peut comprendre que de grandes marques s’y emploient. On est par contre en droit de s’étonner que le CAS s’y laisse prendre, au point de répercuter sans façon les « éléments de langage » concoctés par les inventeurs de ce nouveau concept. (...)

« Afin de convaincre les consommateurs des bienfaits des produits, il faudra concevoir des approches éducatives intelli­gentes et se reposer sur des réseaux de conseil des consommateurs. ». (Enea - consulting, « Le marché BoP », février 2009). Susciter le besoin en quelque sorte … (...)

L’émergence du business de la pauvreté ne peut être dissociée du contexte plus général de dérive de la pensée et du langage qui accompagne la prise de pouvoir de l’économique et du financier sur le politique et le social : à aucun moment, le CAS ne nous aura parlé des alternatives à cette parodie de solidarité, qui consiste à affamer les gens d’abord et à leur faire l’aumône ensuite. En un temps où nombreux sont ceux qui dénoncent le creusement des inégalités, au double titre qu’elles sont injustes et nuisibles à la « bonne marche des affaires », le CAS se contente ici de disserter sur la façon de s’en accommoder. (...)

Que le CAS fasse état de nouveaux comportements des grandes entreprises, on peut le comprendre. Mais certainement pas que cet « éclaireur du gouvernement » relaie sans discernement un discours fort ambigu, sans même nous épargner les subtilités du passage du « BoP 1.0 » au « BoP 2.0 », qui annonce « une nouvelle génération d’actions de lutte contre la pauvreté (…) dans laquelle le client est vu comme un partenaire à part entière de l’entreprise. »… Plus c’est gros, plus ça passe.

Et l’on nous dit que le CAS « préfigure, à la demande du Premier ministre, les principales réformes gouvernementales. » Tremblez bonnes gens.