
Le mouvement des Scop a monté des outils de financement performants à destination des coopératives. Ils permettent de minimiser l’investissement initial des salariés au point que dans certains cas, cet investissement devienne marginal. Ceci ouvre la voie à l’abandon de la notion même de propriété. Il devient ainsi possible, sous condition de la présence d’un secteur bancaire et financier socialisé, d’entrevoir la perspective d’unités de production dirigées par les travailleurs et intégralement financées de façon externe.
(...) Comment faire lorsqu’on n’a pas de capital initial ?
Les trois étages du financement des Scop
Très tôt, la Confédération générale des Scop a été confrontée à ce problème. Le Crédit coopératif, interlocuteur privilégié des Scop, réagit et raisonne comme une banque, à ceci près qu’elle étudie sérieusement les demandes émanant des Scop alors que les autres les ignoraient généralement (...)
la confédération a ensuite créé Spot, devenue plus tard Scopinvest. Cette structure intervient en titres participatifs allant de 25 000 à 200 000 euros. Comme pour le prêt participatif, un titre participatif permet à son détenteur de toucher un taux fixe accompagné d’un taux variable en fonction du comportement économique de l’entreprise. Mais l’originalité du titre par rapport au prêt est que son remboursement ne peut se faire qu’au bout de sept ans et seulement à l’initiative de la coopérative. Si la coopérative ne souhaite pas rembourser ce titre, elle peut conserver le financement indéfiniment à condition, bien sûr, d’honorer annuellement le paiement des taux d’intérêts. Ce sont donc de véritables fonds propres. Comme les taux d’intérêt sont généralement plus élevés que ceux d’un prêt bancaire classique, elle est évidemment fortement incitée à rembourser (...)
Enfin, lorsqu’elles accordent un prêt à une entreprise, les banques demandent souvent la caution solidaire du dirigeant d’entreprise : si cette dernière fait faillite, alors l’ancien dirigeant devra rembourser ce qu’il reste à payer accompagné des intérêts. De quoi être facilement endetté à vie ! Difficile à mettre en œuvre dans les Scop où le dirigeant est un salarié comme un autre qui ne tirera aucun bénéfice particulier de la réussite de la Scop autre que celui des autres coopérateurs. Sofiscop a été conçu dans les années 1980 pour répondre à ce besoin en se portant, moyennant commission, caution solidaire à l’égard du Crédit coopératif jusqu’à 50 % du prêt accordé. À noter que cette garantie peut compléter celle que Bpifrance peut aussi accorder.
Vers la disparition du capital social ?
Ceralep a été initialement financé à 94% de façon externe
Ceralep a été initialement financé de façon externe à hauteur de 94%
Cette combinaison d’outils permet de réaliser des opérations de financement dans lesquelles la part des salariés est infime. (...)
il faut que les organismes du mouvement des Scop soient largement convaincus de la solidité du dossier pour s’engager de la sorte. De nombreux autres contre-exemples nous montrent au contraire un engagement que l’on pourrait juger timoré mais qui se comprend aisément dans la mesure où ces organismes émanent des Scop et ont des comptes à rendre à celles-ci. Néanmoins, ces exemples nous montrent clairement que, contrairement à ce que la finance classique nous apprend, il est possible de financer à des niveaux proches de 100 % des projets et que ceux-ci marchent en dépit d’un engagement proportionnellement faible des salariés. Ceci s’explique aisément : à l’inverse d’un actionnaire extérieur à l’entreprise, un salarié a plus à perdre que son capital, il peut perdre son travail. De ce point de vue, l’engagement des coopérateurs est infiniment plus solide. On peut même se demander si leur souscription de parts sociales était indispensable.
Cette dernière remarque laisse entrevoir une nouvelle possibilité : celle d’une entreprise sans capital social, donc sans propriétaire. L’intérêt politique de cette approche est fondamental : il deviendrait possible qu’une entreprise soit gérée par ses travailleurs sans que ceux-ci soient sociétaires et aient investi. La coopérative constitue une rupture par rapport aux règles du capital dans la mesure où les décisions se prennent sur la base d’une voix par personne – au lieu d’une voix par action – et que le capital n’y est que faiblement rémunéré. Mais la forme coopérative reste de nature privée en ce sens qu’il faut être sociétaire pour participer aux décisions. L’absence de capital social permet ainsi d’envisager l’émergence de nouvelles unités de production sans propriétaire, dans laquelle l’usage et l’activité seraient porteuses du droit de co-décider. (...)
Bien sûr, nous n’en sommes pas là. D’une part parce que seules quelques coopératives sont financées à un si haut niveau, mais aussi parce que compte tenu des taux élevés pratiqués dans les titres participatifs, les coopératives sont motivées à rembourser au plus vite et donc se constituer des fonds. Mais remplaçons les organismes de financement du mouvement coopératif par un secteur bancaire et financier socialisé dans lequel des enveloppes d’investissements auraient été définies au préalable. Ceci permettrait ainsi la mise en œuvre d’une planification incitative définie démocratiquement par la population. (...)