
Voilà six mois que le Brésil est gouverné par un président d’extrême droite, Jair Bolsonaro. Après avoir libéralisé le port d’armes, il s’attaque aux universités publiques en coupant massivement leurs budgets et s’apprête à démanteler le système de retraites par répartition. Comment résistent les mouvements sociaux ? La gauche brésilienne peut-elle rebondir et incarner un nouveau projet d’émancipation ? Entretien avec la députée Manuela D’Avila, qui a été candidate à la vice-présidence lors de l’élection présidentielle aux côtés de Fernando Haddad, battu par Bolsonaro, que Basta ! a rencontrée lors de sa visite à Paris.
Basta ! : Ce 5 juin à Paris, le ministère de l’Économie a accueilli un forum économique franco-brésilien, avec des représentants du patronat brésilien, un membre du gouvernement de Bolsonaro et le patronat français, pour parler des privatisations en cours au Brésil. Quel est le rôle des économies et des dirigeants des pays européens dans ce moment politique dramatique que le Brésil est en train de vivre ?
Manuela D’Avila [1] : Bolsonaro s’est résigné à ce que le Brésil occupe le rôle d’une nouvelle colonie. C’est son projet, et un problème grave pour le Brésil. Il faut que les gens sachent que le gouvernement de Bolsonaro ne respecte pas les droits humains, incite à leur violation, et milite même pour leur disparition. C’est quelque chose que tout dirigeant européen doit prendre en compte dans les relations qu’il entretient avec le gouvernement brésilien.
Quelles sont les mesures législatives les plus inquiétantes que le gouvernement a prises depuis six mois au pouvoir ?
Le président gouverne par décret. Il n’a pas fait voter de lois car il ne considère pas le Congrès comme nécessaire pour gouverner. Bolsonaro a par exemple libéralisé par décret, et presque sans aucune restriction, le port d’armes, dans un pays qui compte déjà 62 000 victimes d’homicides par an, où les discours prônant la violence politique se renforcent, et alors qu’une élue de Rio de Janeiro a été exécutée l’an dernier [2]. Par décret, il a décidé de couper 30 % des financements de toutes les universités publiques. Il cherche ainsi à en finir avec l’éducation publique, et avec la recherche fondamentale qui, au Brésil, se mène dans les universités. Bolsonaro prépare également une réforme des retraites, qui marquera la fin de toute perspective de pensions via le système public [retraites par répartition, basées sur les cotisations des salariés, ndlr], dans un pays qui compte à l’heure actuelle près de 14 millions de personnes sans emploi, des personnes qui n’ont déjà pas de salaire pour survivre.
Pourrait-il faire passer la réforme des retraites par décret ?
Non. Mais il pourrait réussir à faire adopter la réforme par le Congrès. (...)
Les syndicats brésiliens sont-ils affaiblis ? Quelles sont les forces d’opposition au gouvernement ?
Les syndicats ont déjà été attaqués sous le gouvernement précédent de Michel Temer (droite). Il avait lancé une réforme du droit du travail, qui a largement précarisé les salariés, et a retiré des ressources financières importantes pour les syndicats en supprimant la contribution syndicale obligatoire. Une grève générale, la plus grande grève des 20 dernières années, a cependant empêché la première tentative de réforme des retraites qui avait alors été initiée. (...)
Aujourd’hui, l’opposition vient surtout du monde de l’éducation, avec des manifestations amples, populaires, qui ne sont pas organisées par la gauche. Du point de vue numérique, les manifestations étudiantes des 15 et 30 mai sont très impressionnantes. Je n’ai jamais vu un mouvement étudiant comme celui-ci. (...)
Je ne pense donc pas que ce mouvement social va s’arrêter.