
Dans le Nord de l’Aisne, département qui s’étend des frontières de l’Île-de-France à celles de la Belgique, se trouve une ancienne région historique, précieuse pour son patrimoine architectural, ses produits agricoles et sa biodiversité : la Thiérache. Traversée par deux routes nationales, elle n’offre guère d’autres commodités de transport à ses 100 000 habitants, alors même qu’elle a abrité, dès l’entre-deux-guerres, des sites majeurs des chemins de fer français. À moins de 200 kilomètres de Paris, elle incarne comme presque nulle autre aujourd’hui l’abandon de la France rurale, délaissée par les services publics.
« Dans ma jeunesse, on pouvait se rendre à Moscou depuis Tergnier », sourit Jean-Paul Davion, ancien directeur de centre culturel, qui se souvient d’un temps où un simple passage en gare suffisait pour rêver. Aujourd’hui, huit voies à quais desservent encore la gare de cette commune de 14 000 habitants, située à mi-chemin entre Lille et Paris. Mais seules deux lignes s’y arrêtent, dont l’une en provenance de la capitale. Plus au nord, à proximité de la frontière belge, se trouve Hirson. Autrefois deuxième gare de triage de France après Paris, elle abrite encore un immense dépôt de locomotives surplombé d’une tour florentine de 45 mètres de haut, inspirée des beffrois du Nord.
Située à moins de 200 kilomètres de Paris, Hirson est aujourd’hui un archétype de ces communes oubliées, où aux dernières élections législatives en 2017, le Front national est arrivé en tête avec 25 % des voix au premier tour et une abstention massive, de près de 70 % (pour une ville de 9300 habitants). Plus significative encore est l’emprise locale du mouvement des gilets jaunes, où dans les premiers jours de la mobilisation en novembre, quelques 3000 personnes se sont relayées sans relâche pour l’occupation d’un rond-point.
Une voie ferrée sectionnée, des cars qui roulent à vide (...)
la Fédération nationale des associations des usagers du train (Fnaut) a montré que la substitution de lignes classiques par des autocars a un effet dissuasif. « C’est moins confortable, plus lent et moins fiable », résume Michel Magniez.
Des horaires d’autocars introuvables
L’alternative proposée est d’emprunter une autre ligne avec une correspondance et une attente d’une heure et demie en gare. La ligne est peu fréquentée. « Plus on rend l’accès au train compliqué, moins les gens le prennent, et on finit par avoir des trains avec trois personnes », explique Marie-Pierre Duval, journaliste au quotidien régional L’Union depuis 1991, qui a beaucoup travaillé sur les transports du quotidien. (...)
Ailleurs, « certains trains sont supprimés sans qu’on sache pourquoi. Quand vous êtes obligés de prendre la voiture plusieurs fois par mois, vous finissez par abandonner le train [2] ».
« La mobilité dans l’Aisne est un problème essentiel, poursuit-elle, qui va bien au-delà de la SNCF. » Nous sommes en effet dans l’un des départements les plus pauvres de France, un territoire très rural de 806 communes. Le Réseau des autocars de l’Aisne (RTA) - offre des services déficients (...)
« Un tarif à bord beaucoup plus cher, même quand il n’y a ni guichet ni distributeur » (...)
« La région s’est engagée à ne fermer aucune ligne, aucune gare, aucun guichet, aucun arrêt »
Militant écologiste, Michel Magniez insiste sur le caractère apolitique de son association et le soutien apporté par le président de région, l’ex-Républicain Xavier Bertrand, pour le maintien du réseau existant. « Son score modeste au premier tour (24%) alors qu’il était parvenu à faire sur son nom l’union des droites n’est peut-être pas pour rien dans cette attention portée aux usagers dès le début de son mandat, explique-t-il. Quoi qu’il en soit, la région s’est engagée à ne fermer aucune ligne, aucune gare, aucun guichet, aucun arrêt. On verra bien ce qu’il en sera, mais si la promesse est maintenue, c’est déjà énorme. » (...)
Les effets du Charles de Gaulle Express sur les Hauts-de-France
Au cœur du département, la préfecture de l’Aisne est elle-même en sursis du point de vue ferroviaire. Sans investissements massifs, ce qu’on nomme aujourd’hui l’étoile de Laon pourrait disparaître d’ici quatre ou cinq ans. « C’est le résultat de décennies d’abandon des trains du quotidien au profit des grands projets », renchérit Michel Magniez, qui rappelle que le budget du Charles de Gaulle Express, censé simplement doubler le RER B entre l’aéroport de Roissy et la Gare du Nord à Paris, se chiffre en milliards d’euros. À titre de comparaison, maintenir la viabilité de la ligne Laon-Hirson jusqu’en 2050 est l’affaire de 40 millions d’euros et la région s’est d’ores et déjà engagée à en financer la moitié.
« C’est un autre Notre-Dame-des-Landes », résume Marie-Pierre Duval à propos d’une ligne qui doit simplement permettre aux passagers fortunés des liaisons aériennes internationales d’arriver un peu plus vite à Paris, pour un coût évidemment supérieur au train régional. Son ouverture ne serait pas sans influer sur les transports en Hauts-de-France. (...)
La Belgique rouvre des lignes vers le nord de la France
À l’échelle européenne, des lignes ont été rouvertes à l’initiative de la SNCB, l’équivalent belge de la SNCF, vers de petites communes du Nord et de l’Aisne [4]. « Si les Belges l’ont fait, c’est bien que c’est rentable », souligne Michel Magniez, qui ajoute que pendant les premiers jours on ne pouvait pas acheter de billets pour ces trajets en France, en gare y compris.
Cette initiative rend d’autant plus surprenante la mauvaise qualité de certaines lignes françaises. (...)
Ancien adjoint au maire de Tergnier, Michel Brizet a une vision politique quant à l’avenir du train : « On a axé les gens sur le véhicule automobile, et on a cassé tout le reste. Si l’on veut une véritable transition écologique, il faut y revenir. Un train de marchandises, c’est cinquante camions. » Le train connaîtra-t-il le même destin que le tramway ? Délaissé lui aussi durant les Trente Glorieuses, il a connu une seconde vie avec la réouverture de 25 réseaux depuis les années 90. Des trois lignes qui demeuraient à la fin des années 80, l’une se trouvait dans les Hauts-de-France, entre Lille, Roubaix et Tourcoing. Renforcée par la ligne de métro, elle continue aujourd’hui de desservir d’autres arrêts et ne désemplit pas. Il en sera peut-être ainsi un jour des trains régionaux, compléments essentiels du TGV, symbole de l’excellence française par-delà les frontières, mais peu soucieux des usagers du quotidien.