
Luttant mollement contre la désignation des migrants comme boucs émissaires et la définition de l’immigration comme "problème", les partis de gauche semblent avoir renoncé à imposer un autre discours sur la question.
Lors de la manifestation du 21 février 2018 – la première unitaire depuis 2015 sur le sujet – seuls les associations et collectifs appelaient à se rassembler pour dénoncer le projet de loi "Asile et immigration". Parmi les participants, plusieurs centaines de personnes, avocats, agents de l’État du secteur de l’asile et associations d’aide aux migrants. Quelques élus, élus locaux ou députés communistes et insoumis, y ont participé mais leur présence est restée marginale. Parce que dans les faits, à part sur quelques plateaux de télés et de radios pour dénoncer mécaniquement "la politique du ministre de l’Intérieur Gérard Collomb", il n’y a pas grand monde pour promouvoir une politique d’accueil ambitieuse et volontariste.
La bataille culturelle abandonnée
Aujourd’hui, c’est la France insoumise qui donne le la, à gauche. Et lorsqu’on observe les grandes campagnes nationales retenues par ses militants pour l’année 2018, aucune parmi les trois choisies ne concerne les droits des étrangers. Et pourtant, alors que la "crise migratoire" s’intensifie en Europe et que l’année 2018 – notamment par l’agenda politique engagé par Emmanuel Macron et cette loi "Asile et immigration" – va sans doute marquer un tournant sans précédent de la politique d’accueil en France, une mobilisation politique, intellectuelle, syndicale, de l’ensemble de la gauche aurait été nécessaire.
Comme si la gauche avait abandonné la bataille culturelle. La bataille des idées. Celle des convictions. De la pédagogie, à travers de larges campagnes. Ne serait-ce que pour contrer à l’échelle nationale le discours ambiant qui, de l’actuelle majorité en passant par la droite de Laurent Wauquiez et l’extrême droite de Marine Le Pen, ne cesse de répandre des préjugés les plus nauséabonds. Ainsi, comme le relevait Héloïse Mary, présidente du BAAM (Bureau d’accueil et d’accompagnement des migrants) dans La Midinale du 21 février dernier : « La gauche a perdu une grande partie de son influence sur les questions migratoires par peur du Front national et de sa faiblesse idéologique […]. Elle est prise au piège de l’opinion publique. » (...)
Ainsi, du PCF à la France insoumise, en passant par les écologistes et même le dernier né Génération.s de Benoît Hamon, il est difficile d’y voir clair. Les bons sentiments empreints d’empathie sont, individuellement, souvent de sortie, mais l’on peine à trouver dans les discours et programmes de gauche ceux qui s’engagent – sans détour par la situation des pays de ceux qui les fuient –, à tout mettre en œuvre, en urgence, pour accueillir les réfugiés et migrants qui se retrouvent sur notre territoire aujourd’hui, tout en anticipant les besoins de demain en matière d’accueil et d’intégration.
Par son absence de clarté – et de projet alternatif sans doute –, un véritable discours de gauche peine donc à s’imposer dans l’espace public. (...)
Pourquoi aujourd’hui, personne à gauche ne prend-il à bras-le-corps ce qui ressemble fort à un impératif moral, dans le débat public, sur l’accueil des personnes étrangères – qu’elle soit ou non en situation régulière sur notre territoire ? Comment pourrait-on honnêtement justifier que la France et l’Europe n’en ont pas les moyens ?
Enfin, pourquoi le discours d’une grande partie de la gauche a-t-il glissé au point de reprendre, parfois, les termes de la droite et de l’extrême droite : l’immigration comme problème ? Procéder ainsi revient à démobiliser la gauche, à l’engluer dans le piège de la droitisation, voire de l’extrême droitisation du débat public. Sans doute n’a-t-on pas toujours pris la mesure, à gauche, que c’est par la défense d’un accueil digne des réfugiés – qu’ils soient climatiques, économiques ou fuyant les conflits – que le combat contre l’extrême droite sera le plus efficace. Pas en flirtant avec ses solutions. Expériences à l’appui dans plusieurs centaines de territoires en France, toute la gauche pourrait trouver les mots pour le dire. Dire que l’immigration est une chance. Dans bien des domaines. Y compris – osons-le – économique. (...)