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Non-Fiction
Sur la trace des déchets
Article mis en ligne le 27 novembre 2017
dernière modification le 25 novembre 2017

(...) Le nouvel opus de la collection est cette fois consacré à la question des déchets. Rédigé par le chercheur Baptiste Monsaingeon, qui a également fait partie du comité scientifique de l’exposition Vies d’ordures au MUCEM, très pédagogique, qui visait à illustrer les différents modes d’existence du déchet, y compris ceux qui, éloignés dans l’espace ou le temps, ont tendance à être marqués du sceau de l’oubli.

Or c’est en grande partie sous l’angle de l’amnésie que la question des déchets, de leur invention au XIXème siècle à leur gestion techniciste moderne, est traitée par l’auteur dans l’ouvrage Homo Detritus. Organisé en cinq chapitres, l’ouvrage répond à une logique à la fois chronologique et thématique. Les deux premiers chapitres retracent ainsi l’histoire du déchet, de son “invention” à son appropriation par le système techniciste, tandis que les chapitres 3 et 4 proposent une étude détaillée des déchets plastiques et des déchets organiques. Enfin le dernier chapitre propose un panorama critique des nouveaux modes de gouvernance des déchets, du mouvement Zéro Déchet à l’économie circulaire.

Les déchets de-hors !

Parler d’invention pour les déchets peut paraître paradoxal. Pourtant, “s’il y a bien diverses matières ou nuisances à traiter, il n’y a pas forcément encore de problème du déchet, plus encore, s’il y a bien des choses mises au rebut, peut-on vraiment parler de choses abandonnées ?” (chap. 1). Une illustration parmi tant d’autres est celle des os animaux, utilisés dans de multiples applications, par exemple dans le processus de fabrication de sucre de betterave au XIXème siècle. Même l’imaginaire de la saleté ne peut être utilisé pour caractériser un déchet qui serait abandonné à l’époque prémoderne. Ainsi le salpêtre, dont dépend la puissance de feu des états puisqu’il entre dans la fabrication de la poudre à canon, est produit dans des sous-sols humides qui bénéficient de la putréfaction des excréments urbains. “Plutôt que d’aborder ces nuisances potentielles comme ce qu’il s’agirait d’éliminer ou de faire disparaître, le résiduel est alors perçu et traité comme ressource précieuse.”

Avec le développement dès la fin du XIXème siècle de l’hygiénisme et l’attrait de la jetabilité comme art de vivre cependant, cette vision du déchet toujours déjà comme ressource disparaît peu à peu, au profit d’une vision du déchet comme problème à traiter. (...)

Les communes qui mettent en place une stratégie zéro déchet, même si celle-ci s’accompagne bien sûr d’actions réelles de prévention et de recyclage, sont cependant dépendantes d’un processus d’externalisation, notamment à destination des pays des Suds.

C’est typiquement le cas de San Francisco, ville Zero Waste, qui exporte une partie importante de ses flux de cartons et de métaux vers la Chine . Enfin, le principe des 3R (Réduire, Réutiliser, Recycler), véritable injonction morale et politique au coeur de l’économie circulaire, présente une contradiction interne dont les pouvoirs publics ne se sont pas vraiment emparés. En effet, jouer le jeu d’une politique de la réduction des déchets (stratégie de prévention), c’est bien évidemment couper l’herbe sous le pied de la gestion techniciste des déchets à l’oeuvre dans la société du recyclage.

Le déchet comme indice

Face à ces contradictions, Baptiste Monsaingeon nous propose de penser un “nouveau chiffonier” (chap. 4 et conclusion). Les chiffoniers ayant disparu en même temps que la circulation des matières organiques entre la ville et la campagne, il s’agit de penser un nouveau modèle, qui remplacerait l’éco-citoyen et son geste de tri nécessairement réducteur. L’auteur inscrit cette distinction entre éco-citoyen et nouveau chiffonier dans l’héritage latourien, qui différencie entre modernes et terrestres . Dans ce contexte, le rôle des nouveaux chiffoniers n’est plus de faire disparaître les déchets comme anomalie, mais de ramasser des indices : “le déchet n’apparaît plus sur le mode de la menace, de l’anomalie, ou, plus encore, de la pathologie, mais bien comme un fragment signifiant du monde.” . En un mot, suivre les déchets à la trace pour mieux comprendre le monde qui les jette.