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Sur quel terreau pousse l’extrême droite ? Perpignan, ville en morceaux
Article mis en ligne le 4 décembre 2020
dernière modification le 3 décembre 2020

Aux dernières municipales, Perpignan est devenue, vingt-cinq ans après Toulon, la première ville de plus de 100 000 habitant.es à basculer dans l’escarcelle du Rassemblement national. Sitôt élu, le nouveau maire a commencé à imprimer sa marque sécuritaire. Comment le candidat frontiste est-il parvenu à s’imposer dans la cité catalane, territoire de passages et d’échanges, qui en font une ville cosmopolite ? Quels espoirs de résistance aujourd’hui ? Tentative de réponses, à l’issue de cinq jours sur place à parcourir la ville et rencontrer des militant.es associatifs et anticapitalistes.

Entre cloisonnement et effritement

Le centre de Perpignan a toujours été un mystère pour moi. Impossible, pour la visiteuse que je suis, d’en dessiner une carte mentale claire. Hors des axes familiers, je tâtonne dans les rues étroites et m’étonne de mes trajectoires. Au premier abord, on peut être frappé·e par l’image d’un centre-ville en déshérence, dans lequel s’étirent d’anciennes rues commerciales désertes, jalonnées de devantures fermées. Sur certaines, la métropole a collé des photos d’intérieurs marchands témoins, mais cette tentative de redynamisation par le papier peint ne fait qu’ajouter à une impression de tristesse figée.

Ici, le centre n’est pas le lieu de la bourgeoisie. En dehors de quelques rues cossues et de la place de la République rénovée sur laquelle s’étalent des terrasses proprettes autour d’un marché de producteurs, elle demeure invisible. Les classes aisées se concentrent dans les quartiers périphériques, se repliant dans des résidences fermées ou se dépliant dans un confortable périurbain choisi. Elles laissent les pauvres entre eux, dans les quartiers populaires centraux ou relégués en proche bordure.

Perpignan est, aussi, une ville qui s’effondre. En 2006, 2009 et 2014, plusieurs immeubles se sont écroulés dans les quartiers de Saint-Jacques et Saint-Mathieu. Un défaut d’entretien du bâti par des proprios prompts à empocher des loyers, conjugué à une inaction de la Ville, font du mal-logement une problématique prégnante – on estime à 4 000 le nombre de logements insalubres dans le centre. Les rues portent les stigmates de l’effritement : étais de soutènement, démoli tions en cours, immeubles dont ne subsistent que les façades, îlots parsemés de dents creuses.

Dans le centre, certains quartiers ne se traversent pas ; ils se contournent le long de frontières, invisibles pour des yeux non initiés. Toutes les personnes rencontrées durant mon séjour affirment que ce cloisonnement s’est renforcé ces dernières années (...)

Perpignan est une ville-étape, à la frontière de nombreux flux d’échanges plus ou moins informels, une métropole de la mondialisation entre pauvres, centrale dans les économies souterraines.
Une mairie bleu marine

Territoire extrêmement inégalitaire, Perpignan se hisse au cinquième rang des villes les plus pauvres de France. 32 % de ses habitant.es vivent sous le seuil de pauvreté et le taux de chômage atteint 85 % dans certains quartiers. Les associations, bien que nombreuses, sont débordées, et font le constat d’une paupérisation grandissante. (...)

Les militantes associatives que je rencontre font le même récit d’une misère sociale omniprésente, et enchaînent les histoires sordides dessinant la guerre entre pauvres qui fait rage. La situation était déjà au bord de l’implosion, et l’élection de Louis Aliot à la mairie ne laisse rien présager de bon.

Si le vote Front national est historiquement fort à Perpignan et dans la région, son candidat a dû, pour se faire élire, nouer des alliances et conquérir de nouveaux électorats. Se présentant sans étiquette pour se distancier du RN, Louis Aliot s’est construit une image de notable du coin, figure respectable et pondérée. Tout en soignant son implantation locale, Aliot est parvenu à se présenter comme extérieur aux pratiques vernaculaires de népotisme et de clientélisme (...)

Affichant volontiers sa proximité avec Robert Ménard, le maire d’extrême droite de Béziers dont il prend l’action comme modèle, Aliot a néanmoins pris garde à ne pas tomber dans la suren chère. Raciste, oui, mais pas outrancier. « Il n’a pas intérêt à ce que ça se passe mal, pour ne pas ternir l’image de la ville », conjecture Sarah, membre du lieu associatif La Locale. « Mais il y a les effets d’annonce, et puis ce qui ne se voit pas dans les médias. On a peur que l’élection d’Aliot empire ce qui se faisait déjà ; c’est sur les populations fragiles qu’il va taper. »

Effectivement, les arrêtés pleuvent dès les premières semaines, interdisant pêle- mêle : mendicité, occupation abusive de l’espace public, regroupement d’individus perturbateurs, tenue indécente, divagation de chien ou même jeux de boules sur le domaine public. Aliot ordonne également la fermeture à 22 heures des alimentations générales, arguant lors d’une conférence de presse que « l’origine [de l’insécurité] vient de l’ouverture de commerces illicites, d’épiceries de nuit, qui occasionnent tapages nocturnes, ivresses publiques et des faits plus graves comme les trafics de cigarettes ou de stupéfiants ». Pour faire appliquer ces mesures, il augmente les effectifs de la police municipale (PM). Une évolution qui se double, constatent les militant. es, d’une collaboration marquée entre la mairie et la préfecture. Si les populations fragiles étaient loin d’être ménagées sous l’an cienne équipe municipale, le tour de vis annoncé commence à se faire sentir. (...)

Également dans le viseur d’Aliot, les squats d’exilé·es, qui subissaient déjà une pression importante sous la mandature de Pujol. Roger Hillel, militant commu niste, conserve la mémoire de la longue campagne de réquisitions, portée par le collectif Bouge Toit. Si la première occupation, en 2011, s’était plutôt bien passée – Pujol étant même venu visiter l’ancienne école occupée en promet tant qu’il n’y aurait pas expulsion –, l’atti tude de la municipalité s’était rapidement durcie. Ces dernières années, les évacuations se sont succédé, et l’arrivée d’Aliot empire encore les choses. (...)

Également dans le viseur d’Aliot, les squats d’exilé·es, qui subissaient déjà une pression importante sous la mandature de Pujol. Roger Hillel, militant commu niste, conserve la mémoire de la longue campagne de réquisitions, portée par le collectif Bouge Toit. Si la première occupation, en 2011, s’était plutôt bien passée – Pujol étant même venu visiter l’ancienne école occupée en promet tant qu’il n’y aurait pas expulsion –, l’atti tude de la municipalité s’était rapidement durcie. Ces dernières années, les évacuations se sont succédé, et l’arrivée d’Aliot empire encore les choses. (...)

Sous une pluie battante, je rejoins Fatouma, mili tante associative très impliquée auprès des personnes à la rue, et Mohammed, sans- abri, dont le campement a été bruta lement expulsé quelques jours auparavant. Avec deux autres personnes, il était installé sous un pont depuis presque un an, près de la Croix-Rouge et des Restos du cœur. Le matin du 30 septembre, ces derniers leur ont refusé un café, le ton est monté et la directrice a appelé le 17. Les policiers municipaux sont arrivés en un clin d’œil et ont évacué sans ménagement les occu pant.es et leurs affaires. « Les pauvres, on ne veut plus vous voir à Perpignan ! », ont-ils dit à Mohammed, tout en mena çant Fatouma qui tentait de filmer la scène.
La Locale

Le soir des élections, pendant qu’Aliot fêtait sa victoire dans un immeuble cossu du centre historique, seules quelques dizaines de personnes se sont rassemblées spontanément pour protester. Roger me décrit « un véritable coup de bambou. Les camarades sont sonnés. On est dans l’expectative, il va nous falloir un peu de temps pour sortir de la sidération et réagir. » Pourtant, entre fatigue de l’urgence sociale et incertitude des temps à venir, malgré le tableau noir qu’ils dressent de la situation, les militant.es rencontrés ne lâchent rien. Si certaines structures subissent des pressions et craignent pour leurs subventions, le tissu associatif local reste solide. Surtout, tous et toutes le disent, la solidarité tient bon. (...)

Face au constat d’une ambiance cloisonnée et de l’absence d’un réseau d’organisation efficace pour faire face aux situations d’urgence – en-dehors de celui des associations saturées –, la nécessité d’un lieu pour s’organiser s’est imposée. Est alors né le projet d’un local de luttes et d’activités. Une base arrière, pour permettre à celles et ceux qui agissent de se rencontrer, et aux solidarités de se renforcer. Le tout sur des bases politiques claires : antiautoritaires et autogestionnaires. Créé à l’origine par quelques-uns, le collectif s’est depuis élargi, agrégeant des personnes mues par une même volonté de recoller les morceaux. Une première réunion publique a eu lieu en septembre, afin de présenter le projet et lancer une souscription. Celle-ci a porté ses fruits et l’ouverture est proche. Au programme : une cantine régulière, des cycles de conférences et de projections, des permanences juridiques pour les saisonnier.es, un atelier couture. Les répétitions de deux chorales féministes et des réunions de Gilets jaunes devraient également s’y tenir. Perpignan, ville morcelée ? Ne reste qu’à tisser des ponts.