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Le Monolecte
Totalitarisme numérique
Article mis en ligne le 26 août 2017
dernière modification le 25 août 2017

Mon père devient dépendant.

C’est normal, me direz-vous : il doit être vieux, à son âge, il a du mal à arquer, il n’est plus aussi vif, ce genre de choses. Sauf qu’il est encore très autonome : il s’occupe de ses problèmes domestiques tout seul depuis pratiquement ma naissance, il continue à aller tous les matins prendre son petit café sur le port, il va voir ses copains, il gère ses affaires, il se débrouille toujours très bien tout seul. Certes, les jours de tempête, il évite de sortir de chez lui, le vent peut être violent sur le front de mer et, comme il me le disait assez récemment, quand il y a beaucoup de vent, j’ai tendance à perdre l’équilibre… comme nous tous. Certes, il entend un peu moins bien, mais il garde bon pied bon œil, et jusqu’à présent, c’était nettement suffisant.

Non, mon père va plutôt très bien pour ses 85 ans, c’est juste que l’emprise numérique sur notre société est en train de le marginaliser sans aucun ménagement.

Selon une étude menée en bureau de poste début 2017 par le groupe, un client sur deux qui se déplace dans une agence de La Banque Postale n’est pas autonome sur le numérique et, parmi ces clients, 26 % n’ont soit aucune compétence numérique soit très peu de compétences. Une situation qui contribue parfois à aggraver les difficultés financières des clients. « Certains privilégient les mandats cash coûteux pour régler des factures, au détriment des virements ou prélèvements gratuits », explique Hawa Koné, directrice de secteur à La Banque Postale. Et cette précarité numérique complique aussi la transformation numérique de La Banque Postale qui, comme les autres banques, cherche à réduire le coût de son réseau. (...)

De la simplification administrative à la désintégration des services
Soyons clairs : personne n’aime vraiment les démarches, la paperasse, les formulaires, les procédures et toutes ces petites contrariétés normées qui sont sécrétées par une société organique extrêmement structurée, hiérarchisée et régulée. En gros, on n’aime pas trop la loi de la jungle, mais on n’aime pas plus les contraintes qui permettent d’échapper à l’arbitraire et à la loi du plus fort.

D’ailleurs, se moquer de l’administration française est resté longtemps un sport national

Du coup, il a été assez facile de nous vendre l’efficience présupposée des entreprises privées plutôt que la lourdeur bureaucratique des services publics, avec l’idée qu’ensuite, ce serait plus rapide, plus efficace, moins cher et plus accessible. Puis, dans l’élan, de nous fourguer la dématérialisation des services, des démarches et même des relations comme simplificatrice de la vie quotidienne.

En fait, ce n’est pas compliqué, la numérisation de notre société, c’est le nouvel eldorado, le saint Graal et le mini Mir réunis.

Ce qui est grandement exagéré. (...)

le pire est à venir quand cette « simplification » de la démarche s’accompagne en réalité d’un objectif très concret de réduction des couts et donc des personnels chargés de gérer ses processus. Parce qu’aux deux bouts de la chaine numérique, il reste toujours des humains.

Et que tous ces humains — tant s’en faut — ne sont pas des familiers voire même vaguement à l’aise avec la chose informatique ou la chose administrative.
Et que du coup, au moindre petit grain de sable dans l’engrenage, c’est toute la machine qui se grippe, maintenant qu’elle n’est plus ointe du liant humain. (...)

Informatique partout, liberté nulle part
Pour en revenir à mon père, il est juste un pur incompétent numérique. Il est arrivé à grand-peine à dompter l’interface du Cube de Canal+, il a fini par se résigner à utiliser une carte bancaire — lui qui a passé toute sa vie à compter l’argent en briques —, mais c’est bien là le maximum d’effort qu’il veut bien concéder à la machine.

Et je le comprends. À son âge, il n’a plus rien à prouver et si ses capacités intellectuelles sont intactes, il n’a aucune culture numérique et le bond cognitif que cela représente est bien trop de fatigue pour un vieillard.

Mais voilà, la société numérique est totalitaire et ne lui laisse aucun choix, aucun espace, aucune dérogation. (...)

En gros, la digitalisation de la vie quotidienne ne serait pas quelque chose de grave si elle n’était pas imposée à tous, au mépris le plus absolu de ceux qui n’ont pas accès à cette technologie, que ce soit par manque de moyens ou d’envies. C’est ainsi qu’est pourtant créée une nouvelle catégorie de sous-citoyens :

Les exclus numériques (...)

Je ne sais pas pour vous, mais franchement, je lui trouve une sale gueule au progrès, maintenant qu’il est en marche… inexorable et indifférent.