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Entre les lignes, entre les mots
Travailler dans la grande distribution. La journée de travail va-t-elle redevenir une question sociale ?
Article mis en ligne le 7 octobre 2019

Le monde du travail connaît des transformations profondes. Au-delà de la nostalgie d’un passé excessivement idéalisé ou de la dénonciation d’un présent qui serait marqué par des formes d’exploitation d’une violence inédite, il importe d’en poser un diagnostic précis et nuancé. Le livre de Nicola Cianferoni y contribue puissamment, en s’appuyant sur une enquête de terrain de grande envergure dans le secteur de la grande distribution.

Il met ainsi en lumière trois enjeux qui permettent de mieux comprendre les ressorts sous-jacents aux métamorphoses du monde du travail contemporain et leurs implications : l’intensification du travail qui résulte de la pression à la performance et de l’augmentation de la concurrence dans ce secteur ; l’exigence accrue de disponibilité qui vient brouiller les frontières spatio-temporelles entre travail et non-travail ; la déqualification du travail qui découle de l’automatisation de la production et menace l’existence même de certains métiers de la grande distribution. (...)

il montre que ces trois phénomènes – l’intensification, la disponibilité temporelle et la déqualification – se conjuguent dans une configuration nouvelle qui modifie significativement leur portée et que Nicola Cianferoni désigne comme la « norme temporelle néo-libérale ». Dans ce cadre, les salariés sont appelés à utiliser de manière plus intensive leur temps de travail en vue de déployer « plus d’activité dans le même temps et resserrer les pores » de leur journée selon la belle expression de Marx citée dans l’introduction de l’ouvrage. Mais ils doivent aussi être plus disponibles pour pouvoir répondre, en temps réel ou presque, aux exigences de la production. Enfin, l’automatisation accrue de la production coïncide avec une moindre reconnaissance des qualifications et des compétences. (...)

Mais le point essentiel mis en lumière par Nicola Cianferoni réside dans le fait que ces trois phénomènes ne sont plus compensés par une réduction concomitante du temps de travail. Durant la période fordiste, les efforts accrus demandés aux salariées et salariés pouvaient apparaître comme légitimes du fait qu’ils s’accompagnaient d’une réduction du temps de travail hebdomadaire et d’une augmentation des salaires. Ce n’est plus le cas : désormais – c’est la thèse de Nicola Cianferoni – on demande aux salariées et aux salariés non seulement d’être plus productifs (c’est le sens de l’intensification) et plus disponibles (au travers de la remise en cause de la régularité des horaires et de leur individualisation), mais encore de travailler davantage d’heures et tout cela en étant moins reconnus en raison des processus de déqualification à l’œuvre et des diminutions de salaire qu’ils entraînent (au moins pour certaines catégories de salarié-e-s). (...)

Au-delà de la seule sphère académique, elle engage aussi un débat citoyen qui pose la question de la justice sociale dans le monde du travail contemporain et invite à repenser les termes de la relation de travail. (...)