
« Après la décision du tribunal de commerce de Bobigny ordonnant à quinze magasins des chaînes Castorama et Leroy-Merlin de fermer le dimanche, le Medef n’a pas hésité : “Quadruple peine pour le pays”, a tranché son président, Pierre Gattaz, car elle pénalise les consommateurs, les salariés, les entreprises et l’emploi. »1
Aussitôt, la candidate parisienne NKM embraye, entre hypocrisie et naïveté : « étendre », et non « généraliser », l’ouverture dominicale « permettrait de créer au moins dix mille emplois supplémentaires ». Et propose dans la foulée d’autoriser le travail nocturne , « dans les zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente » précise le député F. Lefèvre.
Pas en reste, Le Figaro surenchérit (...)
Plus surprenante a priori est la révolte des salariés contre les syndicats : se disant volontaires, ils réclament de pouvoir continuer à obtenir un complément de salaire. Le Figaro. fr, toujours, en conclut que « Paradoxales, les actions judiciaires de Bricorama et des salariés de Sephora prouvent l’ampleur des enjeux économiques et sociaux du travail le soir et le dimanche. Ils sont d’autant plus cruciaux en temps de crise, à l’heure où le gouvernement peine à relancer la consommation et l’emploi et qu’il cherche à redresser l’attractivité de la France. Pour Bricorama, l’ouverture dominicale dope de 20 % les ventes des magasins concernés. »
Le travail du dimanche aurait donc le double avantage de créer des emplois et d’améliorer le povoir d’achat des salariés. (...)
En réalité, derrière la question du travail nocturne ou dominical, il y a celle du grignotage progressif des normes sociales de travail. C’est qu’en affaiblissant le mouvement social, les politiques néo-libérales parviennent à mettre les salariés en concurrence, obligés qu’ils sont de chercher des solutions de survie individuelles. Et la vieille stratégie du « diviser pour régner » permet alors aux entreprises de revenir sur les garanties du Code du travail touchant aux horaires, salaires, travail de nuit, etc. (...)
1 - La mise en concurrence des salariés : de l’emploi au marché du travail
La réaction des employés de Sephora ou Castorama et Leroy-Merlin s’explique par la nature de leurs emplois : précaires, à temps partiel, mal payés, des emplois dont ces salariés ont trop besoin pour les refuser. Certes, cela peut fort bien convenir à certains, les étudiants principalement. Mais la plupart subissent la situation, faute de moyens de vie (...)
Pour la plupart de ces salariés, la sobriété n’est pas un choix, seuls ces « horaires atypiques » peuvent leur donner un pouvoir d’achat qui leur permette de vivre décemment, d’où le « volontariat forcé » pour décrocher le job. Si ce travail était si gratifiant, le « turnover » ne serait pas aussi fort : en moyenne, de source syndicale, les salariés restent un an. L’aliénation est à son comble, comme au temps de Marx et de l’armée de réserve industrielle (ici, commerciale).
L’argumentation patronale, reprise dans les médias complices, met en avant un double objectif : la défense de la liberté et celle de l’emploi. D’une part, selon les employeurs, les travailleurs du dimanche sont tous volontaires, conformément à la loi, et les clients demandent l’ouverture en dehors de leurs propres heures de travail. D’autre part, « Selon les propriétaires des adresses préférées des touristes, l’ouverture dominicale permettrait de créer au moins 5 000 emplois. » , voire 100 000, pourquoi pas !3
Cette argumentation est plus que fragile. (...)
malgré leurs faiblesses, les syndicats défendent le modèle social, car la « réalité » sociale ouvre aux employeurs une opportunité de rogner un peu plus encore le Code du travail, constitutif du vivre ensemble. Le grignotage est permanent depuis le début de la crise, l’antienne de la théorie du marché appliquée à l’emploi étant que la flexibilisation du marché du travail ferait tomber tous les obstacles à l’embauche. Dans la conception néo-libérale de la société, l’emploi est un nid de rigidités auxquelles la marchéisation du travail mettra fin, et comme le travail ça prend du temps, l’idéal du marché c’est la facturation à la seconde, comme dans les forfaits mobiles ! Où le travailleur est considéré comme un producteur de travail, qui l’offre sur le marché, en concurrence avec d’autres offreurs. C’est ce à quoi parvient de mieux en mieux le système économique et social : mettre les salariés en concurrence sur un prétendu marché du travail.
Mais, en réalité, les salariés de Castorama ou Monoprix ne sont pas plus en concurrence entre eux ou avec ceux de la supérette ou de l’internet, que les salariés français ne le sont avec les salariés chinois ou indiens. L’ouverture du dimanche est un outil de concurrence entre marchands, surtout en face d’internet (...)
la « science économique » légitime l’action patronale anti-salariale, dont la stratégie est de mettre en concurrence des salariés- consommateurs offrant leur travail comme une simple marchandise, dans un échange marchandise contre marchandise. (...)
La précarisation de l’emploi a commencé avec la suppression de l’autorisation administrative de licenciement, puis le développement des emplois à temps partiels, etc. L’enjeu en est la mise en cause des garanties du Code du travail.
2 - La révision néo-libérale des normes sociales de travail
Il se passe que sous l’apparence du marché du travail, on fait changer la norme sociale salariale. Car le marché du travail, ça n’existe pas. (...)
Dans le « monde enchanté de la marchandise », le “marché” du travail existe certes, il y a bien une concurrence entre salariés, mais comment ce marché pourrait-il fonctionner sans le “modèle social” qui l’encadre ? autrement dit, le salaire de marché dépend du salaire socialisé qui l’accompagne et qui lui-même résulte des luttes sociales et de leur validation in fine politique.
Ainsi les prix sont politiques, tous les prix, spécialement celui de la force de travail (...)