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Trois enseignants sanctionnés pour avoir participé aux grèves contre la réforme du bac
Article mis en ligne le 16 décembre 2020
dernière modification le 17 décembre 2020

Le rectorat reproche aux trois enseignants de s’être mobilisés et d’avoir exercé leur droit à l’action syndicale lors du mouvement social provoqué par la réforme du bac, en janvier 2020. L’une écope d’une mise à pied temporaire, les deux autres d’un blâme.

« Une blague ». C’est la première pensée qui traverse la tête de Véronique Capin, professeure d’histoire-géographie, lorsqu’elle apprend que sa collègue de SVT (sciences de la vie et de la terre) Zoé Puech vient de recevoir un courrier du rectorat lui annonçant qu’elle fait l’objet d’une procédure disciplinaire. Nous sommes le vendredi 17 novembre vers 15 h, le weekend approche. Les enseignants du lycée François Mauriac de Bordeaux apprennent au même moment que le proviseur et son adjointe seront remplacés deux jours plus tard par une nouvelle équipe de direction. Trois inspecteurs seront également présents dans toutes les instances du lycée.

Ils sont en fait trois enseignants à recevoir un courrier du rectorat ce jour-là (...)

Il leur est reproché des faits qui remontent au mois de janvier 2020, dix mois plus tôt, alors qu’ils étaient en grève pour protester contre les modalités de passage des nouvelles épreuves du baccalauréat, les « E3C » (épreuves communes de contrôle continu) [1]. Un mois plus tard, ce 15 décembre, les sanctions sont arrivées par courrier (...)

« Stupeur et sidération » de la communauté enseignante

La communauté enseignante du lycée a reçu la nouvelle de ces procédures disciplinaires avec « stupeur et sidération ». Dans un communiqué, elle se dit « indignée par les méthodes employées, l’absence de dialogue et la précipitation contre-productive qui nous impose un calendrier délétère alors que les faits se sont déroulés il y a dix mois ». Elle souligne son engagement et le travail réalisé pour « surmonter tous ensemble les difficultés de cette rentrée hors normes, en pleine crise sanitaire, doublée, depuis le drame traumatisant de l’assassinat de Samuel Paty, d’une crise sécuritaire ». (...)

Le reproche fait aux enseignants : des « perturbations »

Aucun de ces documents, qui figurent dans les dossiers administratifs des trois enseignants, ne mentionne le fait qu’ils étaient en grève. Il en est de même pour les courriers que la rectrice de l’académie de Bordeaux, Anne Bisagni-Faure, a adressé à chacun d’entre eux le 17 novembre 2020 pour leur notifier l’engagement d’une procédure disciplinaire à leur encontre. (...)

Les enseignants s’étaient déclarés grévistes les 20 et 21 janvier pour demander le report de ces épreuves auxquelles ils n’avaient pas suffisamment pu préparer leurs élèves, et ce après avoir tenté d’engager le dialogue avec leur hiérarchie à différentes reprises. « Les motions, les préavis, les expressions les plus institutionnelles dans les cadres les plus institutionnels... ils s’en fichent. Si on se met en grève, ils nous remplacent. Quand on a demandé la tenue d’un conseil d’administration extraordinaire pour parler entre membres de la communauté éducative du lycée, quatre inspecteurs sont venus nous expliquer la réforme. Ils considèrent que si on s’oppose à la réforme, c’est qu’on n’a pas bien compris », résume Jean Hourcade. Le courrier de l’inspectrice présente dans le lycée le 20 janvier ne dit pas autre chose : elle déplore un « discours commun et récurrent porté contre la réforme (par les enseignants, les parents d’élèves et les lycéens), des contre-vérités que nous avons essayé de contrecarrer mais en vain ». Quelques mois plus tard, le 14 mai 2020, une quinzaine de hauts fonctionnaires du ministère de l’Éducation nationale publient une tribune dans laquelle ils dénoncent également cette attitude venue du sommet de la hiérarchie : « Le ministre entend aujourd’hui piloter de façon autoritaire des réformes sans construire l’adhésion des enseignants et sans prendre en compte l’expertise des personnels d’encadrement. »

« Le soutien des collègues fait du bien, les rassemblements aussi » (...)

Depuis l’annonce des procédures disciplinaires, plus d’une quarantaine d’établissements ont voté des motions de soutien demandant l’abandon des procédures disciplinaire à l’encontre des enseignants du lycée Mauriac. Le 27 novembre, un rassemblement de soutien a réuni 300 personnes devant le rectorat, dont des parents d’élèves, des élèves et anciens élèves, qui ont vendu des viennoiseries et du café pour alimenter la caisse de grève de leurs enseignants. Une pétition intersyndicale demandant l’arrêt des procédures disciplinaires a recueilli plus de 20 000 signatures. D’autres ont été initiées par les parents et les élèves du lycée. « Continuer de travailler, ça fait du bien. Le soutien des collègues, ça fait du bien, les rassemblements aussi », commente Jean Hourcade. (...)

Ces nouvelles sanctions contre des enseignants font écho à celles reçues début novembre par quatre enseignants du lycée Joseph Desfontaines situé à Melle dans les Deux-Sèvres. (...)

« Est-ce que le droit de grève existe encore ? »

Au lycée François Mauriac, les enseignants s’interrogent aussi sur le rôle joué par les trois inspecteurs généraux (le sommet de la hiérarchie des corps d’inspection ) qui sont venus passer deux semaines dans le lycée fin septembre, « pour opérer une analyse à 360° du fonctionnement de l’établissement », selon les mots du précédent proviseur. Cette mission leur avait été confiée par le cabinet du ministre. Une mission semblable avait eu lieu dans au moins un autre établissement, en juin 2018 en Seine-Saint-Denis, au collège République de Bobigny, au motif de « maltraitance entre personnels ». Dans les deux établissements, les inspecteurs ont ensuite rédigé des rapports restés secrets, aboutissant dans le cas de Bobigny à la mutation de deux enseignantes « dans l’intérêt du service ». (...)

À Bobigny, Melle et Bordeaux, c’est une intersyndicale qui s’est mobilisée. Et dans ces trois établissements, ce sont des enseignants membres du syndicat Sud-Éducation qui ont été sanctionnés ou risquent de l’être. Le syndicat a décidé de saisir le Défenseur des droits au nom de la liberté syndicale (...)

Un rassemblement de soutien est organisé ce 16 décembre devant le rectorat pour demander la levée de ces sanctions. « Quand vous passez en conseil de discipline parce que vous avez fait grève, est-ce que le droit de grève existe encore ? » interroge Jean Hourcade.

Lire aussi :

Les enseignants sanctionnés du Lycée François-Mauriac préparent un recours

Ce mercredi, les enseignants grévistes du lycée François-Mauriac ont reçu blâmes et exclusion, suite à la procédure disciplinaire engagée par l’Académie de Bordeaux du fait de leur participation à la grève contre la réforme du bac. Ils comptent déposer un recours au tribunal administratif pour faire annuler les sanctions et obtenir des dommages et intérêts. (...)