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Mediapart
Ukraine : Mélenchon aux prises avec son passé
Article mis en ligne le 27 février 2022
dernière modification le 26 février 2022

Depuis le déclenchement de la guerre, le candidat insoumis semble avoir changé de ton sur le régime russe. Mais les événements ont fait remonter à la surface des années de positionnements controversés sur les rapports de force internationaux, où sa position de « non-aligné » a entretenu une mansuétude plus ou moins relative envers le régime de Vladimir Poutine.

Des meetings débordant de monde, un mois entier sans fausse note médiatique, les sondages qui grimpent lentement mais sûrement… La guerre en Ukraine changera-t-elle le cours de la campagne de Jean-Luc Mélenchon ? Depuis quelques jours, celui-ci se retrouve au cœur d’une violente polémique, orchestrée par ses concurrents directs à gauche qui l’accusent de « complaisance » (Yannick Jadot), voire de « complicité » (Anne Hidalgo) avec le régime de Poutine.

Samedi, lors d’un meeting à Saint-Denis de La Réunion où il était en déplacement, le candidat, qui s’est longuement exprimé sur l’Ukraine devant 2 000 spectateurs, a tenté de déminer la situation (...)

Réclamant une résolution pacifique du conflit face à Joe Biden et Emmanuel Macron qui feraient « les fiers à bras », il a martelé que non, n’en déplaise aux commentateurs, il n’avait « pas changé de position » : « Depuis 2014, je répète sur tous les tons qu’on n’humiliera pas durablement la Russie en continuant à faire avancer l’OTAN à toutes ses portes. […] Ce que je vous dis depuis le début, c’est que nous n’avons rien à faire dans l’OTAN [...], le camp des vaincus [il fait allusion à l’Irak notamment – ndlr], qui abandonne les gens en cours de route, on ne peut pas leur faire confiance. » (...)

Pas de virage sur la ligne, donc. Mais il aura fallu seulement quelques jours pour que s’opère, au moins, un changement de ton.

Lundi dernier : alors qu’Emmanuel Macron pense encore pouvoir faire s’asseoir Biden et Poutine autour de la même table, Jean-Luc Mélenchon publie ainsi un communiqué qui, en pleine période électorale, ne manque de donner du grain à moudre à ses contempteurs.

Rejoignant le chœur des condamnations de la décision de Vladimir Poutine de reconnaître unilatéralement l’indépendance des républiques du Donbass, il n’a pas un mot pour le peuple ukrainien, et semble, au nom de sa diplomatie du « non-alignement », renvoyer dos à dos les États-Unis et la Russie, comme il l’a fait le 10 février lors de l’émission « Élysée 2022 » : « Les Russes n’ont pas à passer la frontière, et les États-Unis n’ont pas à annexer l’Ukraine dans l’OTAN. »

Une position considérée, y compris en interne, comme suffisamment sibylline pour que certaines figures du mouvement se sentent obligées de poster sur Twitter, quelques heures plus tard, leurs propres condamnations « sans réserve » des agissements du président Poutine.

(...) Un rétropédalage en règle, diront les mauvaises langues. Mais rien n’y fait. En cette fin de semaine, l’incendie continuait de se propager, écologistes et socialistes soufflant à plein poumons sur les braises d’un passé, pas si lointain, où l’insoumis en chef accumulait des déclarations sonnant aujourd’hui comme de la mansuétude mal placée envers le pouvoir russe. (...)

Le leader insoumis, qui interviendra mardi sur le sujet mardi au Palais Bourbon, peut certes s’enorgueillir de s’être souvent montré au-dessus du lot en matière de politique internationale – sur le Mali récemment. Il n’en demeure pas moins que l’offensive politique de ses concurrents à la présidentielle a fait remonter à la surface des années de positionnements controversés vis-à-vis du régime russe.

Et d’abord, son attitude lors de la guerre en Syrie, vis-à-vis de laquelle Jean-Luc Mélenchon a développé un récit pour le moins « iconoclaste ». (...)

Pourquoi, s’interrogent jusqu’à ses proches, alors que le soulèvement du peuple syrien s’inscrit dans la droite ligne des printemps arabes de 2011, lui, le théoricien de la « révolution citoyenne », n’y voit qu’une sombre affaire de guerre commerciale autour des gazoducs et des pipelines ?

En 2013, le trouble s’intensifie quand Jean-Luc Mélenchon émet des doutes sur la véracité des accusations à l’encontre de Bachar al-Assad de massacre de son peuple à coups d’armes chimiques. (...)

En 2016, interrogé sur France 2 à propos des bombardements du Kremlin à Alep, il estime aussi que Poutine va « régler le problème », à savoir « éliminer Daech » qui n’a pourtant pas de base connue dans la ville syrienne.

Trois ans plus tard, la suite des événements lui donne tort. Mais il persiste : « Heureusement que la Russie était là, car c’est elle qui, en un an, a réglé ce que tous les autres réunis ont été incapables de faire, c’est-à-dire écraser la soi-disant armée du soi-disant État islamique », déclare Jean-Luc Mélenchon lors d’un discours à l’Assemblée nationale rapporté par le journaliste Denis Sieffert, dans son dernier ouvrage, Gauches, les questions qui fâchent (Les Petits Matins, 2021), où il consacre une longue partie à Mélenchon et la question syrienne. (...)

Autre caillou dans la chaussure du leader de La France insoumise : son examen de la prise de la Crimée par la Russie en 2014, qu’il analyse, là encore, comme une réaction – voire une résistance – à la « grossière politique nord-Américaine ».

Le 14 mars de cette même année 2014, l’Insoumis qui affirmait pourtant ce jeudi soir qu’il ne soutiendrait « jamais quelqu’un qui franchit une frontière », se réjouit alors de l’annexion de la péninsule dans un post de blog au titre déconcertant : « La Crimée est perdue pour l’OTAN. Tant mieux ». (...)

S’inquiétant alors que ne s’enclenche une « guerre contre les Russes », Mélenchon conclut que de toutes les façons, elle serait perdue d’avance (...)

Un an plus tard, en mars 2015, l’affaire de la Crimée rebondit en France, après l’assassinat de l’opposant ukrainien du président russe, Boris Nemtsov. La déclaration de Mélenchon qui estime que Poutine est « la première victime politique » du drame, ne passe en effet pas inaperçue. Elle déclenche même une crise au sein du Front de gauche, Pierre Laurent (secrétaire national du PCF) et Clémentine Autain (alors membre du petit parti Ensemble !), s’indignent publiquement de la déclaration de leur leader.

« Être lucide sur le jeu des États-Unis est une chose. Mais de là à laisser penser qu’il s’agirait d’une opération des services secrets américains, il y a un pas que les responsables politiques ne devraient pas franchir car il nourrit l’approche complotiste », fustige dans une interview à Libération Clémentine Autain, élue en 2017 députée de La France insoumise.

Par la suite, les polémiques continueront, quoi qu’à plus basse intensité. Il faut dire que l’entourage « pro-Russe » de Mélenchon s’éloigne peu à peu du mouvement. Fin 2018, Djordje Kuzmanovic, son conseiller international de 2017, part créer son parti souverainiste. Quant au militant insoumis Andréa Kotarac, il rejoint en 2019 le Rassemblement national, peu après avoir participé en compagnie de Marion Maréchal, à un forum pro-Poutine en Crimée – une incartade que Jean-Luc Mélenchon ne lui reproche pas à l’époque, estimant au contraire qu’elle prouve que le pluralisme est le bienvenu dans son mouvement.
Un « campisme » hérité de la guerre froide (...)

Dans son livret programmatique consacré à l’international – un memorandum rédigé par un petit cercle d’Insoumis proches du candidat –, il présente ainsi les États-Unis comme la principale menace pour la paix mondiale.

Une forme de « campisme » hérité « de son logiciel politique qui s’est formé pendant la guerre froide », l’excusent certains Insoumis qui avouent, sous couvert d’anonymat, ne pas être tout à fait raccords avec cette ligne. (...)

Du passé, faire table rase ?

Quoi qu’il en soit, l’heure est à serrer les rangs chez les Insoumis, où beaucoup préfèrent éviter de regarder dans le rétroviseur. Le communiqué de ce jeudi noir du 24 février a d’ailleurs été accueilli comme un soulagement chez ceux qui, en interne, attendaient avec un peu d’appréhension de découvrir la « ligne » sur le conflit.

« C’est un bougé très positif, il faut s’en féliciter », juge Clémentine Autain, qui assume ne pas avoir été toujours « en accord » avec la ligne de son candidat, et ne veut dorénavant retenir que le communiqué de presse « ultra clair » de jeudi. « La situation [internationale – ndlr] a changé, Jean-Luc a réagi en conséquence, et c’est tant mieux », constate aussi l’eurodéputée Manon Aubry, qui s’est rendue, en compagnie d’Éric Coquerel et de Clémentine Autain au rassemblement (auquel appelait le mouvement) place de la République à Paris, jeudi soir. (...)

En revanche, « des nuances » peuvent persister à La France insoumise sur la mise en avant du rôle de l’OTAN comme facteur explicatif unique du conflit actuel. (...)

Au sein du mouvement, où la ligne du « non-alignement » fait consensus, comme pierre angulaire de la diplomatie altermondialiste mélenchonienne, on s’émeut, cette fois à l’unisson, de l’attitude des concurrents politiques qui « cherchent des poux » à Jean-Luc Mélenchon.

Aymeric Caron, fondateur du parti antispéciste le Rev, et membre du Parlement de l’union populaire, favorable « depuis longtemps au non-alignement », ne dissimule pas son irritation : « Je n’ai pas fait de recherches pour retrouver toutes les déclarations de Jean-Luc sur la politique internationale depuis trente ans, mais je peux vous dire que ses critiques légitimes de l’OTAN n’ont rien à voir avec un quelconque soutien à Poutine ! Et dans le cas présent, la dénonciation par Jean-Luc de l’agression et de l’invasion déclenchée par Poutine est absolument sans ambiguïté. Qui peut en toute bonne foi prétendre le contraire ? »

Le journaliste poursuit : « Il est assez choquant que Jadot et Hidalgo instrumentalisent les questions internationales, qui sont infiniment complexes, pour tenter de discréditer la campagne de Jean-Luc, tout ça parce qu’ils sont à la peine dans les sondages. On pourrait d’ailleurs dire beaucoup de la ligne d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) qui réclame désormais, à l’opposé de l’ ADN pacifiste des écologistes, d’armer les Ukrainiens. Les leaders d’EELV souhaitent-ils que la France envoie ses soldats et qu’on s’enfonce dans une guerre aux conséquences forcément dramatiques ? »

Même chez les écologistes, où la position de Yannick Jadot est perçue par certains comme trop va-t-en-guerre dans un parti où une certaine Eva Joly appelait, en 2011, à « supprimer les défilés militaires du 14-Juillet », Alain Coulombel, membre du bureau exécutif d’EELV, juge que les attaques vis-à-vis du concurrent insoumis ne sont pas à la hauteur de l’enjeu (...)

D’autant que le front ouvert par les Verts et les socialistes pourrait laisser des traces. Comment conclure un accord de législatives entre les Insoumis et ceux qui les qualifient, à l’instar de l’écologiste Delphine Batho, de faire preuve de « complaisance pour les dictatures et d’un renoncement à défendre la démocratie » ? (...)