
L’éviction du chef du renseignement militaire signe l’aveu du défaut d’anticipation de la France à propos de l’invasion russe. Un échec qui résulte d’une analyse trop rationnelle des services mais aussi d’une politique de main tendue aveugle du président Macron.
L’annonce le 30 mars du départ, sept mois seulement après son arrivée, du chef du renseignement militaire français a signé l’aveu, définitif, d’un raté à propos de la guerre en Ukraine.
Selon L’Opinion, qui a révélé que le général Éric Vidaud, chef de la Direction du renseignement militaire (DRM), avait quitté ses fonctions le jour même, ce remerciement serait dû aux insuffisances de son service au sujet de l’invasion russe, évoquant notamment des « briefings insuffisants » et un « manque de maîtrise des sujets ». La DRM, qui relève de l’état-major des armées, est l’un des principaux services de renseignement français. (...)
Alors que les Américains dénonçaient depuis plusieurs semaines une invasion imminente, Emmanuel Macron s’affichait au Kremlin avec Vladimir Poutine, voulant croire que la paix était encore possible et que le regroupement des armées russes à la frontière ukrainienne ne se résumait qu’à une posture d’intimidation stratégique. Jusqu’à ce que le jeudi 24 février rappelle le président de la République à cette cruelle réalité : la Russie de Poutine s’était bien préparée à la guerre et maintenant la faisait. (...)
Début mars, le chef d’état-major des armées, le général Thierry Burkhard, avait reconnu dans Le Monde des « divergences d’analyses » entre Français et pays anglo-saxons sur la question d’une possible invasion. (...)
L’une des missions du renseignement étant l’anticipation des crises, au premier rang desquelles les déstabilisations internationales, afin de permettre aux décideurs politiques d’avoir une lecture lucide des événements, force est de constater que la séquence est pour le renseignement français un échec. Tous n’étaient pas prêts à le reconnaître dans les jours précédant l’éviction du général Éric Vidaud. Ainsi de ce grand ponte du renseignement qui nous assurait que l’invasion « avait été bien anticipée » par la France. (...)
D’après Cécile Vaissié, professeur des universités en études russes et soviétiques à l’université Rennes II et auteure des Réseaux du Kremlin en France (Les Petits Matins Éditeur, 2016), certains dans les rangs de l’armée souffriraient aussi d’un tropisme russe, ce qui a pu fausser l’analyse. (...)
À plusieurs reprises dans ses articles, Le Monde évoque une autre raison, qui laisse songeur, au défaut d’analyse constaté : les services français auraient eu des réticences à croire leurs homologues américains à cause… de la guerre en Irak de 2003. Cette opération avait été en partie motivée par les – fausses – informations de la CIA, qui assurait que le régime de Saddam Hussein produisait des armes de destruction massive. (...)
s’il y a eu défaillance dans les derniers instants qui ont précédé la guerre, les documents de prospective stratégique ne mésestimaient pas la menace que faisait peser la Russie de Poutine. En 2008, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (...) de conclure que « l’évolution de la Russie et de sa politique avec ses voisins immédiats, anciens États membres de l’Union soviétique, ou adjacents », restera un facteur important « pour la sécurité du continent et la paix dans le monde ».
Neuf ans plus tard, le diagnostic n’a pas changé. (...)
Il faut dire que depuis qu’il est au pouvoir, Vladimir Poutine n’a jamais caché ses intentions guerrières. Il a assis son pouvoir avec la seconde guerre de Tchétchénie. En 2008, il a envahi la Géorgie. En 2014, c’était au tour de la Crimée et du Donbass.
Tout était sous les yeux mais encore fallait-il vouloir le voir. Et les services de renseignement militaires ou civils ne sont pas les seuls responsables. (...)
Le 27 août 2019, lors de la conférence des ambassadeurs, Emmanuel Macron avait insisté sur le nécessaire rapprochement avec la Russie, s’en prenant à « l’État profond », comprendre les diplomates qui lui faisaient face, coupables « de défiance vis-à-vis de la Russie ».
Trois ans plus tard, ceci explique peut-être cela.