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Un an après, Nuit debout a muté en un archipel d’initiatives
Article mis en ligne le 31 mars 2017

Il y a un an, des manifestants s’installaient place de la République, à Paris, lançant la Nuit debout contre « la loi El Khomri et son monde ». Faisant des émules ailleurs en France, ce mouvement d’occupation des places a vu fleurir les collectifs et les initiatives, portés par le désir de renouveler la démocratie. Aujourd’hui, l’élan reste vivace.

(...) « Bien sûr, la place n’est plus occupée de manière constante, admet Laury-Anne Cholez, de Gazette debout. Mais Nuit debout a muté : elle a évolué vers un archipel d’initiatives et de collectifs. » Ainsi, la commission Économie politique a réalisé des vidéos de vulgarisation sur le traité de libre-échange entre l’Europe et le Canada, sous le slogan #NoCetaChallenge. Le collectif Nuit féministe s’est énormément mobilisé le 6 novembre, lors de l’appel aux femmes à cesser le travail à 16 h 34. Photographes debout, Radio parleur, Touche pas à ma ZEP, Anti-Pub Nuit debout, Stop Bolloré, Chanteurs d’actu… autant d’initiatives nées dans l’effervescence du printemps 2016, qui perdurent jusqu’à aujourd’hui.

« Certaines commissions n’ont d’ailleurs jamais cessé de se réunir et de travailler », poursuit Laury-Anne. C’est le cas du groupe Debout éducation populaire, qui se réunit sur la place toutes les semaines sans discontinuer depuis un an (...)

Chaque dimanche, pendant deux heures, une poignée d’irréductibles utopistes imagine ainsi le monde de demain : « On a déjà plus de 200 pages de compte-rendu, avec des idées extraordinaires sur la place des enfants ou la construction de la paix », ajoute Adèle. Pour elle, pas question d’abandonner la place, pour se retrouver dans un lieu fermé. « L’occupation d’un espace public permet de changer les rapports sociaux ; personne n’a de statut, d’étiquette, les rapports de force ou de séduction n’existent plus. »
« À l’origine, un sentiment de trahison »

La métamorphose de Nuit debout ne s’est pourtant pas faite sans conflit, se rappelle-t-elle. « En août, alors que la place s’était franchement dépeuplée, il y a eu de vives discussions sur l’opportunité et la manière de relancer le mouvement. Une forme de hiérarchie s’est établie entre les différentes stratégies d’actions possibles, et cela nous a divisés, et a fait partir pas mal de monde. » D’après Adèle, la force du mouvement, c’est justement cette cohabitation et cette coopération entre différentes formes et stratégies de luttes, plus ou moins désobéissantes, directes, « citoyennistes » ou anarchistes. (...)

« Nuit debout a participé à cette convergence des luttes par le bas », explique Benjamin Sourice, auteur d’un livre intitulé La Démocratie des places, à paraître le 21 avril prochain. (...)

des membres d’Ecologie debout se sont rendus à Notre-Dame-des-Landes, à Bure ou aux côtés du collectif pour le Triangle de Gonesse, contre le mégaprojet d’Europa City. « Le collectif se recréée régulièrement pour mener des actions ponctuelles, venir en soutien à d’autres militants, créer du lien entre des luttes dans différents points du territoire », explique Sylvain, d’Écologie debout.

Tous dénient l’idée selon laquelle Nuit debout se serait achevée lors du démontage des dernières bâches. (...)

Un sujet en particulier semble avoir transcendé les collectifs, les lieux et les mois : la démocratie. Les commissions sur ce thème ont d’ailleurs accouché de projets concrets. « En obligeant le gouvernement à renoncer au débat parlementaire (49.3), et alors que 70 % de la population exprimait son désaccord contre la loi Travail, (…) la démonstration a été faite que notre pays souffrait d’un grave problème démocratique », écrit Benjamin Sourice dans son ouvrage.

« À l’origine de Nuit debout, il y a un sentiment de trahison : trahison d’un gouvernement qui ne tient pas ses promesses, n’écoute pas le peuple et passe en force contre l’avis général. » (...)

Parmi ces pistes, qui seront présentées ce samedi 1er avril à Paris au jardin des Tuileries : donner aux citoyens la capacité d’agir de manière permanente sur les décisions, mettre à bas l’extrême présidentialisation du système, accroître le contrôle des citoyens sur leurs représentants, assurer le pluralisme de l’information.
« Autant un appel à la démocratie qu’un lieu d’expérimentation de cette même démocratie »

Outre ces propositions, les commissions démocratie souhaitent mettre en place un jury citoyen, pour réfléchir, au-delà de Nuit debout, à une nouvelle Constitution. Afin de proposer un autre regard sur la campagne électorale, un groupe de nuitdeboutistes anime le site Miroir 2017, qui met en valeur des initiatives citoyennes face aux promesses des candidats. D’ailleurs, nombre de participants au mouvement en sont convaincus : Nuit debout a influé sur la campagne électorale, en popularisant des thématiques comme la VIe République ou le revenu universel.

La documentariste Mariana Otero a suivi pendant trois mois les travaux de l’assemblée et de sa commission, place de la République. Son film, L’Assemblée, devrait sortir à l’automne prochain, pourvu qu’elle trouve les financements. Pour elle, Nuit debout a été « un lieu de réappropriation du pouvoir politique par les citoyens via la reconquête de la parole ». (...)

Et cette prise de conscience du pouvoir d’agir de chacun perdure, estime-t-elle. « Nous avons tous dans notre entourage des gens qui se sont politisés avec Nuit debout, et qui s’investissent à présent dans d’autres collectifs. » (...)

Lieu de politisation, de transmission et d’autoformation intergénérationnel, Nuit debout a permis « une hybridation des valeurs et la construction de nouvelles pratiques militantes, estime Benjamin Sourice. Sur la place publique, différentes catégories de militance — ONG, syndicats, citoyens, collectifs — se sont retrouvées. Cette dynamique de dialogue, de mise en relation et de confrontation à de nouveaux publics parfois profanes a impulsé une mise à jour des pratiques et des discours militants. » Le répertoire commun d’actions s’en est vu élargi : désobéissance civile, action directe, flash mob, occupation, boycott, utilisation des réseaux sociaux… « Un nouveau vocable militant s’est diffusé, plus accessible, moins théorique, centré sur l’explication, le vécu, l’expérience personnelle plutôt que sur une approche intellectuelle. » (...)

« ce qui a été insufflé est très profond », assure Mariana Otero. Tous sont certains d’une chose : la dynamique peut renaître à tout instant, comme lors des manifestations contre les violences policières. « Les réseaux sont tissés, les compétences sont partagées, le dispositif est là », précise Antoine.

Pour Laury-Anne, le but de ce week-end d’anniversaire n’est donc pas de « relancer » ou de « faire renaître » Nuit debout, puisque le mouvement n’a jamais vraiment cessé. Mais ce moment doit servir à « contrer l’idée prégnante que tout cela n’a rien donné. Nous voulons montrer le foisonnement de collectifs, les liens créés, les changements opérés. Il faut arrêter de voir le verre à moitié vide ! » (...)

une sorte d’« agenda vivant des luttes » devrait voir le jour à partir de dimanche sous le nom de Printemps 2017.