
Après un an d’interruption dû à l’examen d’une question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les avocats de Jacques Servier, le patron des laboratoires du même nom, le procès du Médiator reprend cette semaine au tribunal de Nanterre. Et déjà, une bataille de procédure s’engage alors que l’instruction continue dans le cadre de mises en examen parallèles au pôle santé du parquet de Paris, menaçant d’allonger à nouveau un temps judiciaire qui devient difficilement supportable pour les victimes.
Certes, la rapidité n’est pas la qualité première d’une justice équitable et, comme l’affirmait Voltaire, « un jugement trop prompt est souvent sans justice », mais, à l’inverse, un verdict sans cesse différé offense le droit et traumatise les plaignants.
L’extrême lenteur et l’accumulation d’artifices procéduriers qui caractérisent la justice en charge de la délinquance en col blanc apparaît aujourd’hui d’autant plus regrettable qu’elle côtoie une « justice d’abattage », pratiquée dans le cadre de la loi sur les peines plancher. Les petits délinquants « ordinaires » - ce sont parfois de simples manifestants désignés par les forces de police - qui passent tous les jours devant le tribunal correctionnel en comparution immédiate subissent la rigueur implacable de juges zélés et pressés qui ne s’embarrassent pas de formalités excessives ; ils comprennent à leurs dépens que la justice française peut, dans certaines circonstances et en face d’un certain public, se montrer rapide et « efficace ». Même si la politique du chiffre a été officiellement abandonnée par Manuel Valls, l’idéologie sécuritaire continue à stimuler un rendement judiciaire qui remplit les prisons avec les courtes peines : + 5,5 % en 12 mois (données au 1er février 2013).
Dans un tel contexte, et dans une période où les politiques communiquent volontiers sur le droit des victimes, on comprend l’exaspération et l’impatience des parties civiles dans les affaires politico-financières ou les affaires dites de santé publique comme l’affaire du Médiator ou le scandale de l’amiante. Comment en effet accepter, quand on souffre depuis des années de maladies professionnelles provoquées par une exposition prolongée aux fibres d’amiante, le report continuel d’un procès pénal ? Comment ne pas maudire l’institution judiciaire après la mise à l’écart de la juge Marie-Odile Bertella-Geffroy et la récente décision de la cour d’Appel de Paris annulant la mise en examen de neuf personnes (dont Martine Aubry) dans un des volets de l’affaire ? L’association nationale des victimes de l’amiante, l’ANDEVA, déclare par la voix de son vice-président que l’arrêt rendu par la Chambre de l’instruction de la cour d’appel est « une caricature de l’affaire de l’amiante, il glorifie le Comité permanent amiante (CPA), instrument de lobbying des industriels de l’amiante". Depuis le 1er janvier 1997, l’amiante est interdit en France et selon une étude de l’INSERM, 100.000 français devraient mourir d’ici 2025 à cause du « magic mineral ». Les victimes attendent toujours un procès qui devrait logiquement réunir responsables industriels et politiques puisque, selon les déclarations de Joseph Cuvelier, l’ancien grand patron d’Eternit, le leader français de l’amiante-ciment, mis en examen par la juge Marie-Odile Bertella-Geffroy pour homicide involontaire en novembre 2009, « le gouvernement français, quelle que soit sa tendance politique, a toujours soutenu nos initiatives, notre dossier industriel, y compris dans le cadre des négociations internationales dures et difficiles. »
Mais, dans ce domaine, confrontée aux puissants, notre justice avance prudemment, avec beaucoup de précautions et de prévenance, presque craintive.
Si procès il y a, ce sera long.
Et les sanctions sont rarement dissuasives. . .
Les patrons auraient d’ailleurs bien tort de craindre une éventuelle bourrasque judiciaire, les vents leur sont porteurs. L’air du temps est bien peu favorable à la protection de nos conditions de vie et de travail. La grande délinquance du patronat peut espérer prospérer en toute quiétude, à l’abri de l’ANI ainsi que des lois et textes réglementaires du gouvernement précédent.
Ainsi, dans son édition du 6 mai, le journal Politis (ici) rapporte que trois médecins du travail sont poursuivis par le Conseil de l’Ordre pour avoir rédigé des courriers et certificats médicaux attestant d’un « lien entre l’état de santé des salariés et leur situation professionnelle ». Ce type de pratique qui relève à la fois de l’intimidation et de la répression a été rendu possible par une modification du code de la Santé publique, prise par décret sous le gouvernement Fillon, qui autorise désormais les employeurs à contester les avis médicaux rendus par des médecins.
Mardi dernier, le journal Sud-ouest titrait, incrédule : « L’étonnant rebond de la bourse ». A bien y réfléchir, les traders doivent sans doute considérer que le capital est quand même bien mieux traité que le travail !