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Une petite histoire de l’antitsiganisme des champs
William Acker (Twitter : @rafumab).
Article mis en ligne le 3 février 2020

Les réseaux ont leur bons et mauvais côtés, qui font parfois renaitre des souvenirs désagréables. C’est le cas de cette vidéo sur twitter montrant un agriculteur arroser de lisier des personnes installées dans son champ. Photo accompagnée d’une légende : « Quand les gens du voyage ou les teuffeurs s’installent illégalement sur les terres de l’agriculteur... ».

J’avais huit ans, nous stationnions en Savoie dans un parking, deux jours après avoir été expulsés d’un champ en jachère. Les agriculteurs nous ont jeté toute leur merde sur nos caravanes, ils étaient accompagnés d’autres habitants. Un de mes souvenirs les plus humiliants.

Lire les 300 commentaires satisfaits sous ce tweet ça fait quand même un peu mal.

En 1998, il n’y avait pas autant de terrains d’accueil qu’aujourd’hui, parfois vous pouviez errer de refus en refus sans ne jamais rien trouver. Alors on a décidé de se poser là, loin de tout. On venait voir mon oncle à l’hôpital. C’était l’hiver la mairie nous a dit de partir car le terrain appartenait à un agriculteur. Nous avons demandé où nous rendre, ils ont dit qu’ils allaient donner une réponse. La réponse n’est jamais venue. L’agriculteur a fini par oser nous parler et nous demander de partir, on est partis.

Nous sommes allés dans un premier parking en zone industrielle, les gendarmes nous ont fait dégager. Puis un second encore plus pourri, on nous a demandé encore de partir et d’évacuer la dizaine de caravanes et là les adultes ont refusés. Tout ça s’est déroulé en un ou deux jours. Notre présence s’est ébruitée dans la ville, il y a eu des histoires et ils sont venus avec des camions de lisier sur le parking et ont arrosé toutes nos caravanes, les voitures, les jouets des enfants, le linge... Nous, on était enfermés dedans.

Je ne sais pas si comme je lis ici "c’était mérité", ou "vous avez payé pour les autres"... Ce que je sais c’est qu’au regard du droit c’était une agression, humainement c’était une humiliation et que moi, enfant, ça m’a marqué. Beaucoup plus tard j’ai compris que les chasses systématiques dont faisaient l’objet les voyageurs, en particulier dans les campagnes, s’inscrivent dans une histoire et particulièrement dans l’histoire DES ruralités.

Dès les premiers recensements de "bohémiens" fin XIX, les autorités comptaient sur les efforts des habitants pour signaler tous les "bohémiens" de passage, c’était le cas dans les Landes par exemple. En 1912 le statut des "nomades" s’imposent, le contrôle passe par un carnet et l’apposition de visa pour entrer dans les villes. (...)

l’antitsiganisme d’État atteint son paroxysme avec le décret du 6 avril 1940 qui prévoient l’assignation à résidence et puis en octobre l’internement des "nomades"en camp de concentration. Dans les campagnes l’antitsiganisme est décuplé par cent, des rumeurs circulent sur les "nomades" : intelligence avec l’ennemi, vols d’animaux...

Au moment de l’épuration certains départements ruraux sont le terrains de massacres de familles entières de "nomades" par les populations locales, parfois même leurs propres voisins. Ces massacres racistes sont aujourd’hui documentés par des recherches récentes, dont certaines sont à paraître 1. Le Puy-de-Dôme fut l’un de ces théâtres meurtriers par exemple.

Bref après la guerre c’est la misère pour tout le monde, l’antitsiganisme est toujours présent, on fait avec, mais les voyageurs arrivent encore à circuler et se poser notamment dans les campagnes. La majorité d’entre eux est ancrée dans le territoire, la plupart ne voyageant qu’à l’échelle d’un département où de quelques villages. Ça se passe souvent bien, on tolère leur présence. Mais les années 1970-1980-1990 sont passées par là et ont fait des ravages.

Durcissement des lois, entraînant une augmentation du champ de l’illégalité (notamment en droit de l’urbanisme), entraînant un traitement médiatique accru. Une criminalisation des comportements par les médias, le droit, dans les discours. La mise en place du système d’accueil moderne avec les lois Besson I et II, vient achever le tableau. Ce cadre juridique bouleverse tous les schémas économiques et sociaux des personnes qui sont désormais contraintes de vivre dans des espaces choisis pour elles. Des espaces souvent à l’écart et pollués : des "aires d’accueil des gens du voyage".

Cette réalité a amené les gens à se rassembler en très grands groupes, ce qui explique en partie aussi le succès grandissant des missions évangéliques. (...)

En réponse les gouvernements successifs et les élus locaux n’ont fait que durcir le droit (comme le démontre le vote au sénat en janvier 2020 de nouvelles mesures contre les habitations mobiles) et adopter des démarches punitives au niveau local, même dans les campagnes et certaines zones où tout se passait bien avant.

Mais plus les lois durcissent, plus les gens sont contraints et plus ils se rassemblent. Plus il y a de grands groupes et plus il y a de difficultés à cohabiter, surtout que dans le même temps les collectivités rechignent à construire les aires de grand passage inscrites aux schémas départementaux d’accueil. C’est un cercle vicieux qui n’a que pour effet d’augmenter la violence des comportements, du traitement médiatique...

C’est un cercle vicieux qui renforce toujours plus les sentiments antitsiganes, les déchaînements de haine raciste. Et c’est ce qui explique les commentaires que je reçois depuis hier. J’avais huit ans.