
En pleine grève des surveillants, l’ONG Confluences dévoile un rapport choc - dont Bastamag a eu la primauté - sur les atteintes aux droits humains dans le centre pénitentiaire des Baumettes à Marseille. La promiscuité et les conditions sanitaires déplorables y entraînent violence, suicides, maladies, dégradation de la santé mentale des détenus et grèves de la faim. Typique de l’inhumanité des prisons à l’ancienne, le bâtiment historique doit être détruit et remplacé par Baumettes 3, installation moderne et digne selon les autorités. Sauf qu’à Baumettes 2, ouvert en mai, les conditions de détentions posent déjà de nouveaux problèmes.
En bloquant l’accès aux prisons depuis une dizaine de jours, les surveillants pénitentiaires grévistes ont su attirer l’attention sur leurs revendications. L’affichage de leurs difficiles conditions de travail et des agressions subies, à l’origine du mouvement, rend cependant peu compte d’autres problèmes de fond à l’œuvre dans le système carcéral. Insalubrité, surpopulation, atteinte aux droits fondamentaux... le malaise touche depuis longtemps les détenus, et pose la question du respect des droits humains par les autorités françaises.
C’est dans ce contexte que ce 24 janvier, Confluences, une ONG qui agit « pour la promotion et la défense des droits humains » dévoile publiquement un rapport d’enquête sur le centre pénitentiaire de Marseille. « C’est une prison digne d’une dictature. Je ne m’attendais pas à constater une telle situation dans un État de droit », fustige Rabha Attaf. La directrice de Confluences est également journaliste, grand reporter sur les droits humains dans les pays arabes. (...)
« Persistance d’une violation grave des droits fondamentaux »
Ouvertes en 1938 dans le quartier marseillais du même nom, les Baumettes est un centre pénitentiaire hors d’usage, pointé du doigt à chaque nouveau rapport. Cette affirmation ne souffre d’aucune contestation pour le bâtiment dit « historique » (BH). L’administration s’est voulue rassurante à l’ouverture du nouveau bâtiment, « Baumettes 2 » (B2), le 15 mai 2017. Sa construction a était assurée par Vinci, dans le cadre d’un marché de conception-réalisation qui permet à l’État de confier à son prestataire toutes les étapes des travaux, des études jusqu’à la livraison du bâtiment (lire aussi notre enquête : Quand les prisons, les détenus et la politique carcérale deviennent des produits d’investissement). (...)
Baumettes 2 se voulait modèle. « L’air, l’espace et la lumière naturelle, sont le fer de lance du parti architectural de ce projet. C’est une prison qui respire », affirmait l’architecte Guillien Bernard, d’Archi5prod qui en a fait la conception. Quelques mois après la mise en fonction, on est loin de la projection idyllique. Et « Baumettes 3 », en remplacement du bâtiment historique qui sera détruit au plus tôt à l’été, est en attente pour 2021. Au lieu d’améliorer la situation, le transfert des détenus et des activités vers Baumettes 2 a provoqué de graves dysfonctionnements. Plus globalement, Confluences affirme la « persistance d’une violation grave des droits fondamentaux ».
« A Nice, on a cinq femmes dans une cellule de 11 m² » (...)
a surpopulation carcérale est « un fléau que l’on ne peut plus supporter », exhorte Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté sur France info. « Dans la plupart des maisons d’arrêt, on a quatre détenus dans une cellule de 9 m². A Nice, on a cinq femmes dans une cellule de 11 m² », informe-t-elle.
Gale, cafards, punaises et tuberculose
Fin 2012, Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, rendait un rapport de visite consterné sur l’état de délabrement des Baumettes. Il ne constatait pas d’amélioration significative suite au passage – vingt ans plus tôt ! – du Comité européen de prévention de la torture (CPT), qui dépend du Conseil de l’Europe. D’où la conclusion partagée que « soumettre des détenus à un tel ensemble de conditions de détention équivaut, de l’avis du CPT, à un traitement inhumain et dégradant ». Rats, punaises de lit et autres nuisibles, jusqu’à des « vers dans des flaques d’eau croupies », ajoute Rabha Attaf, sont bien installés dans le bâtiment historique. (...)
L’infrastructure du vieux bâtiment des années 1930 vacille. En août, un escalier s’effondre. « Nous ne supportons plus une prison qui tombe sur nos têtes. Les lavabos sont insalubres. Il y a la gale, des cafards, des champignons, le staphylocoque », témoigne le détenu Samy Miout sur Radio Galère. Des témoignages de détenus, reçu par courrier par Amid Khallouf, coordinateur pour le sud-est de l’Observatoire International des Prison (OIP), évoquent « des cellules décrépites et un réseau électrique défaillant dont les plombs sautent fréquemment ».
« Les courants d’air, l’humidité, les moisissures sur les murs et le ruissellement en période de pluie sont à l’origine de maladies broncho-pulmonaires, voire même de tuberculose », rapporte Confluences. L’été, la température peut dépasser les 40 degrés et les moustiques pullulent. La mauvaise qualité de la literie, « occasionne des infections de la peau », auxquelles s’ajoutent des « piqûres de puces ou de punaises », renseigne Confluence.
La promiscuité et l’insalubrité enveniment les tensions (...)
Aux Baumettes 2, les malfaçons sont nombreuses. « Des fissures murales apparaissent déjà dans certains locaux », indique Confluences. Elle sont sources d’infiltrations. Le 7 septembre 2017, « La pluie a inondé le couloir des parloirs et filtré sous les portes des boxes. On nous a annoncé qu’on devait vite partir et depuis, ils ont mis une bâche sur le toit en verre », raconte un témoin. Chaque cellule est équipée d’une douche mais l’eau y est brûlante en été, gelée en hiver. Dans certaines partie du bâtiment, il fait « une chaleur suffocante » l’été, décrit le rapport.
La promiscuité et l’insalubrité enveniment les tensions et attisent la violence. Les détenus sont nombreux à éviter les douches aux Baumettes historiques. « Les règlements de compte entre détenus y ont lieux à huis-clos et ont y déplore régulièrement des blessés par arme blanche », explique le rapport.
Les violences en réunion contre des détenus sont fréquentes à l’occasion des promenades. (...)
Les prisons françaises championnes du suicide
Les Baumettes sont le centre pénitentiaire français dans lequel on compte le plus de suicides, à égalité avec Fresnes. Cinq suicides y ont été dénombrés en 2017, selon une enquête de Médiapart. Confluences en recense six. Il est difficile de retracer précisément les suicides en prison. La pénitentiaire ne communique pas sur ce genre d’événement. Les deux prisons partagent d’autres similitudes : leur conception et leur insalubrité. Entre 2010 et 2014, le Conseil de l’Europe a évalué un taux de 13,6 suicides pour 10 000 détenus dans l’hexagone, tandis que la moyenne européenne est autour de huit. (...)
Une politique carcérale explosive
Plus grave encore, les prises en charge à l’unité de santé se sont complexifiées. « On est passé des BH aux B2, et depuis c’est l’horreur », témoigne dans le rapport Djamila Sirrat, éducatrice spécialisée dans la prévention des maladies contagieuses ou transmissibles, et des addictions. « Nous n’avons plus accès aux détenus de BH. Leurs requêtes ne nous parviennent plus directement », poursuit-elle. « Il m’est déjà arrivé d’avoir dix patients qui arrivent d’un coup alors que je n’avais qu’une heure devant moi », s’énerve un médecin. Le personnel soignant doit en outre faire face à des baisse de budgets et d’effectifs. Résultat, c’est le droit à la santé qui est bafoué.
Le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) n’est pas mieux loti. (...)
Si elle est caricaturale, la situation spécifique des Baumettes éclaire la dérive du système carcéral. Les causes de ses dysfonctionnements, qui amènent maltraitance et atteinte aux droits sont a chercher à la fois dans le sous-effectif et le manque de formation chronique des agents des centre de détentions, mais aussi dans les politiques pénales qui font de la France un pays dont la population carcérale est en augmentation constante. Les annonces, lundi 15 janvier, d’Emmanuel Macron sur son projet de réforme pénitentiaire ont tout de la fuite en avant pénaliste. 15 000 places de détentions « modernisées » supplémentaires devraient s’ouvrir. Dans le même temps, le président de la République veut rendre « massives » d’autres peines comme les travaux d’intérêt général ou le bracelet électronique.