
Peut-on construire le socialisme dans un seul village ? Provocatrice, la question n’est cependant pas gratuite...
Marinaleda, un village andalou "pas comme les autres", à 80km de Séville. Marinaleda, une tâche rouge perdue dans un océan d’oliviers noueux, fruit de "la terre silencieuse, du travail et de la sueur" (Miguel Hernandez), mais propriété privée (les "cortijos") des "terratenientes", cette oligarchie agraire qui monopolise ici la terre depuis toujours. Propriétaire de droit divin, et prête à écraser le prolétariat agricole s’il ne reste pas à sa place...
A Marinaleda l’insoumise, jadis village crève la faim de "jornaleros" (ouvriers agricoles), la plupart des esclaves d’hier construisent une "utopie vers la paix", comme le proclame l’écusson de la commune. Car commune il y a. La commune de Marinaleda.
(...) La réforme agraire n’est pas tombée du ciel
Tout a commencé, nous raconte le maire, Juan Manuel Sanchez Gordillo, barbe fournie et inamovible foulard palestinien autour du cou, un matin de 1979, en pleine "transition" pseudo démocratique. J’avais dix huit ans... Avec plusieurs centaines de "jornaleros" sans terre, nous occupâmes le "cortijo" (grande propriété) El Humoso, à quelques kilomètres de Marinaleda. La demeure du maître, éclatante de blancheur, est arrogante, crânement belle. Plusieurs centaines de parias y campèrent pendant dix ans. Dix ans d’occupation sous les coups, la répression, les intimidations, les procès, les emprisonnements, le déchaînement des "médias-tenientes"... L’immense domaine improductif (17 000 hectares) appartient au quatre fois "grand d’Espagne", le Duc de l’Infantado, ami personnel du roi. Ce grand duc a même fait appel à des milices contre cette "populace" assoiffée de terre.
Les occupants multiplièrent les actions "coups de poing", coups de colère et de cœur : barrages routiers, "encierro" de trois mois à Séville, grève de la faim de 700 personnes en août 1980, marche de 1 000km, piquets pour empêcher les tracteurs d’entrer, occupations de banques, de l’aéroport de Séville...
3 600 jours d’un bras-de-fer avec lequel sympathisent les dizaines de milliers d’ouvriers agricoles andalous qui ne travaillent que deux mois à l’année, contraints à la vache enragée ou à l’émigration, ce qui revient au même. Aujourd’hui encore, après plusieurs alternances de gouvernements socialistes et de droite, 38 ans après la mort de Franco, 2% des propriétaires possèdent en Andalousie 50% des terres cultivables. Et y dictent leur loi.
Par peur de la "contagion", acculés, duc et gouvernement finirent par trouver un accord, et 1 200 hectares furent cédés aux "sans terre" de Marinaleda. Les droits ne se gagnent que par la lutte. Sur cette terre désormais "de tous", le collectif des "jornaleros" s’est engagé il y trente ans à faire vivre des options anticapitalistes... Les résultats, concrets, témoignent de cet "autre choix". (...)
Marinaleda : une enclave anticapitaliste
Paroles de coopérativistes : ici on vit bien des valeurs nouvelles. On a combattu aussi bien l’austérité "de gauche" que celle de droite ; voter PSOE ou PP, nous répète-t-on, "c’est voter capitaliste". "Les classes dominantes continuent à monopoliser le pouvoir".
Retraité, Miguel a connu les uns et les autres : "chat blanc ou chat noir, c’est pareil, ils mangent tous des souris". Les Marinalédiens ont utopisé, rêvé l’impossible pour qu’il devienne possible. L’utopie, comme le prônait René Char dans "Feuilles" (dédiées à Camus), a "servi de lanterne".
Marinaleda, cette "utopie les pieds sur terre", autogérée, agit, irradie, sème. Mais faut-il que le monde aille mal pour que l’on considère "utopie" l’ensemble des droits que devrait avoir chaque être humain ! (...)
Un village suréquipé
Marinaleda est sans doute le village européen où les travailleurs jouissent du plus grand nombre d’équipements sociaux, collectifs, culturels, sportifs, gratuits ou à bas coût... Des jardins d’enfants, une crèche (12 euros par mois), deux foyers, une maison de retraites, un dispensaire médical, des stades, un interminable jardin public, un gymnase Che Guevara, une Semaine culturelle (qui remplace la Semaine sainte), des ateliers d’initiation à l’emploi, un service gratuit de portage à domicile, un accès gratuit à Internet, tous les niveaux scolaires jusqu’au lycée Saramago, des rues Neruda, Lorca, Boabdil, Jean 23, Solidaridad, une radio et une télé locales, des "dimanches rouges" de travail volontaire. On y sue pour "la cause", pour nettoyer le village... Les fresques murales font parler les murs. "Eteins la télé et ouvre ton esprit"... Pas de police locale... On préfère éduquer. La municipalité a calculé que "chacun reçoit 54 fois ce qu’il donne".
Marinaleda garantit le droit sacré au logement (inscrit dans la Déclaration universelle des Droits de l’homme) et quel logement ! Ici pas de SDF, d’expulsions (de "desahucios"), de logements réquisitionnés et revendus par les banques, de sans-toits, de dettes illégitimes pour des décennies, de familles ruinées par les banques après l’explosion de la "bulle immobilière spéculative"...
Le terrain à bâtir est municipal, donc gratuit. Avec l’aide matérielle et technique des maçons et de l’architecte de la mairie, chacun peut construire sa maison et rembourser ensuite 15 euros par mois. Le système d’auto-construction, d’urbanisme solidaire, a doté le village de 350 nouvelles maisons, coquettes, spacieuses. A Marinaleda l’accès au logement s’avère le moins cher d’Europe. La maison peut être transmise à un enfant mais la vente en est interdite.
La réussite de Marinaleda repose sur la combinaison de la démocratie politique, sociale et économique.
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Le 13 novembre 2013 : "Marinaleda !" avec Jean Ortiz Bar de la Marine 28 bis rue Achard 33000 Bordeaux